Emile Amouzou / Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan / Côte d'Ivoire
Gilbert Durand, dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1992, p. 135) proposait l’idée d’une « thérapeutique par l’image » puisque selon lui « figurer un mal, représenter un danger, symboliser une angoisse, c’est déjà par la maîtrise du cogito le dominer ». Cette pensée de l’exégète de l’imaginaire laisse supposer qu’autant l’homme est capable d’être la source des maux en ce monde autant il est en mesure d’y trouver les remèdes. Ainsi, si la littérature africaine francophone depuis les années coloniales à aujourd’hui s’est toujours fait l’écho du désastre, de la désillusion et du désenchantement sociopolitique liés à l’action des hommes, les nouvelles écritures africaines semblent configurer cette capacité de l’esprit à estomper, conjurer le mal, la difficulté pour aspirer à un monde meilleur.
Dans les œuvres LE RÉCIT DU CIRQUE…de la vallée des morts (Mohamed Alioum Fantouré), Le Crépuscule de l’Homme (Flore Hazoumé), Les Naufragés de l’intelligence (Jean-Marie Adiaffi), récit de chaos et récit de la renaissance cohabitent pour traduire une littérature de l’espoir et de l’espérance à côté du désenchantement. La stratégie auctoriale est de convoquer l’imaginaire mythique notamment les mythes eschatologique et cosmogonique. L’eschatologique et le cosmogonique dans ces textes ne sont pas des données nouvelles puisqu’ils se manifestent dans différentes cultures.[1] Ils ont fait l’objet d’étude par plusieurs autres critiques. Les lectures de Virginie Konandri[2] (2013), Constant Yao Zébié (2013) et l’ouvrage de Patrick de Laubier[3] (1998), pour ne citer que ceux-là, insistent sur des conceptions circulaires et dynamiques qui font des mythes de la fin des écritures de l’éternel retour. Pour ces critiques, les récits eschatologiques sont des préalables à des figurations de la récréation d’un monde nouveau, d’une société nouvelle. Mais ces études ne relèvent pas le ou les fondement(s) du passage du chaos à la renaissance, d’où la nécessité d’interroger la zone/force transitoire de ces passages telle que figurée dans le roman africain postcolonial francophone.
Or ce qui distingue les textes littéraires composant le corpus de notre analyse, c’est la figuration, sous les dehors des réécritures de l’eschatologie-renaissance, d’un imaginaire écologique décoloniale qui pose la pratique des lieux naturels comme poétique de liminalité qui configure le passage du chaos social postcolonial aux conditions de possibilité d’une renaissance sociétale africaine. Dès lors, comment la configuration d’une esthétique du chaos/renaissance dans ces romans africains postcoloniaux francophones laisse lire une poétique de passage à une écologie qui recentre l’homme africain dans ses lieux naturels traditionnels comme condition d’un renouveau sociétal ? L’objectif de l’étude est de déterminer la contribution de la poétique écologique décoloniale aux conditions de possibilité d’une renaissance africaine dans l’esthétique littéraire postcoloniale. Ce qui a lieu,[4] en effet, dans les univers représentés, c’est que les sujets humains sont pris dans le vertige des lieux, déboussolés, désancrés par une modernité postcoloniale qui a perturbé leur mode d’habiter le monde africain. Ainsi, à partir d’une analyse mythocritique ( dans la logique des structures anthropologiques de l’imaginaire de Gilbert Durand) et écopoétique, dans le sillage de Pierre Schoentjes (2015) et Xavier Garnier (2022), épousant le paradigme de l’écologie décoloniale de Malcom Ferdinand (2019), l’étude relève le décentrement de l’habiter naturel comme source du chaos social, puis pose le réinvestissement des lieux naturels traditionnels africains comme esthétique de liminalité post pandore[5] des sociétés postcoloniales représentées.
Les trois romans à l’étude sont caractéristiques des dérives de l’État postcolonial africain : l’abandon au tout technologique avec ses excès, la dépravation de la jeunesse et des mœurs, la manipulation de la fibre ethnique dans le champ politique. Ces situations déterminent les états de la dénaturation et de la perversion de l’habiter de l’espace africain : l’espace urbain technologique étouffant, liberticide et sans vie dans LE RÉCIT DU CIRQUE… de la vallée des morts, l’espace urbain gangréné par de nouveaux dieux (l’argent, le sexe, la drogue) fils de la perversion par la modernité capitaliste impitoyable dans Les naufragés de l’intelligence et le cloisonnement des espaces urbains en raison d’une manipulation des territoires ethniques dans Le Crépuscule de l’Homme.
On est en présence d’une écologie humaine où la domination de l’Anthropocène est sans partage et sans considération pour son écosystème, c’est-à-dire une écologie de la non attention à l’altérité humaine et non humaine. L’homme, insensible à son écosystème, détruit tout : ses congénères, l’environnement naturel (pollution par les cadavres (LE RÉCIT DU CIRQUE… de la vallée des morts, les incendies des espaces de vie urbains (Les naufragés de l’intelligence, Le Crépuscule de l’Homme). On est dans les manifestations de l’écologie postcoloniale avec en prime le désordre dans les relations entre l’homme africain et la nature, la perversion de son mode d’habiter le monde d’avant la colonisation.
Si Jean Paul Girard (2005, p. 136) écrivait que « l’eschatologie, pas plus que les prophéties apocalyptiques qui annoncent la fin de l’homme, ne seront nullement une constante des mythologies du monde et que certes ce sont les récits des peuples nordiques, entres autres, ainsi qu’une certaine vision de la chrétienté axée sur l’Apocalypse de saint Jean », il faut remarquer qu’une certaine production littéraire négro africaine s’est emparée de ce mythe pour nourrir sa création. Le chaos est donc saillant et prégnant dans les œuvres qui constituent notre corpus d’étude.
Les naufragés de l’intelligence est un titre oxymorique, caractéristique du discours mythologique. Si l’intelligence est une faculté censée accompagner l’élévation de l’être qui la possède, son association avec Les Naufragés traduit un déclin de sa puissance, les Naufragés désignant des êtres qui ont accidentellement chuté dans une étendue d’eau en principe tumultueuse. Ce titre est, par ailleurs, annonciateur d’une nécessité de sauvetage de ces êtres dont l’intelligence a chaviré. Le contraste place dès lors ces êtres dans une situation problématique qui nécessite réparation.
LE RÉCIT DU CIRQUE…de la vallée des morts est l’expression même du jeu qui s’effectue avec la vie et la mort : s’il y a un récit et un cirque, c’est qu’il y a des acteurs en vie. Mais c’est l’espace de déroulement de ce cirque, la vallée des morts, un symbole descensionnel, un lexique de la finitude de l’homme, qui traduit l’idée de fin.
Le Crépuscule de l’Homme est un titre qui résonne à la fois la fin et le début de l’humanité car la temporalité désignée ici est transitoire, à la frontière de la nuit et du jour. Cette traversée de la nuit au jour est d’ailleurs perceptible dans la structuration du récit en deux chapitres : le premier « C’est ainsi que tout commença » qui réfère certainement aux mythes de l’antiquité gréco-romaine qui stipule selon La Théogonied’Hésiode (p. 123) qu’à l’origine du monde se trouvait Chaos, étendue informe, proche du vide, mais d’où vont naître la Terre (Gaia) et autres, ce qui semble concorder avec le deuxième chapitre « La vie dans les Collines ». À partir de ce titre, une indication est donnée sur le cycle de passage qui se joue temporellement entre la mort et la vie, la fin et le commencement dans ce roman.
Ainsi, dans Les naufragés de l’intelligence de Jean-Marie Adiaffi, le pouvoir politique est renversé par une bande d’adolescents, la bande de N’da Tê, qui se font appeler les « Justiciers de l’Enfer ». Après une parodie de prise de pouvoir et d’intronisation, ils s’engagent dans une destruction totale de l’ordre social qu’ils trouvent corrompu et injuste afin de purifier la société et ramener un nouvel ordre. Si ce roman signe la faillite morale de la société de Mambo représentée, il est aussi porteur d’une espérance sous les signes de l’utopie.
Ces œuvres qui composent le corpus d’étude manifestent cet esprit des grands changements qui habite l’Afrique postcoloniale après une période des lendemains post-indépendances marquée par la grande désillusion. Comme l’écrit Xavier Garnier (2022, p. 75), « dans l’euphorie des indépendances, s’inventent des poétiques territoriales destinées à accompagner l’essor des nouvelles nations ». En effet, au lendemain de l’entreprise coloniale, un nouveau mode d’habiter le monde s’invite dans l’univers africain qui voit la mutation des habitus du local traditionnel dans de nouvelles territorialités de la modernité occidentale importée. Mais les indépendances vont plutôt ouvrir sur l’ère du désenchantement. Les soleils des indépendances attendus n’ont pas brillé sur les sociétés africaines. La modernité coloniale occidentale semble avoir introduit une nouvelle écologie, de nouvelles formes de relations qui déterritorialisent les sujets humains africains, les déconnectent de leurs lieux naturels traditionnels, à l’image d’un Fama qui vivote, qui n’habite plus le nouveau territoire introduit par les indépendances et qui entretient « un rapport inquiet aux lieux » (Garnier, 2022, p. 95). Ces motifs d’une écologie humaine du chaos qui décentre les lieux naturels sont repris par les auteurs étudiés pour traduire le vertige, la chute liée à cette déconnexion de l’homme africain d’avec son monde.
Ainsi, le premier visage de la société postcoloniale figuré dans ces romans traduit un univers dégénérescent, en pleine décrépitude, où l’humain semble atteindre le fond de son existence sociale première.
Les indices du chaos se composent d’éléments caractéristiques du premier visage du temps, celui de la mort, tels que formulés par Gilbert Durand dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire.[6] Ainsi, les symboles catamorphes (larmes, cadavres, morts, etc) et thériomorphes (la bestialisation de l’espace social) suggèrent la décrépitude et l’atteinte des limites du règne de l’humain pour faire place à celle de l’animalité féroce et dévoratrice. À cela s’ajoutent les archétypes de la nuit et des ténèbres qui structurent le récit chaotique dans ces œuvres. Ainsi, si chez Fantouré (1975, p. 64), l’accumulation des cadavres humains a transformé l’identité d’un espace naturel, « la vallée de N’NIE », en « Vallée des Morts », et qu’avec Hazoumé (2002, p. 136), « Bunjalaba la verdoyante » est devenue « une ville fantôme » où séjournenet des reliques humaines, Adiaffi (2000, pp. 125–126) représente une terre devenue un « théâtre sanglant » où toutes les catastrophes (inondation, incendie, morts en cascade, etc.) se sont donné rendez-vous pour renverser l’ordre naturel des choses : « Les tombes ouvertes çà et là par la brutale érosion exposent leurs cercueils ».
Dans ces trois œuvres, se retrouvent en définitive les mythèmes du chaos apocalyptique : le feu dévastateur, les épidémies exterminatrices, les guerres fratricides et meurtrières., les pluies engloutissantes. Tous ces indices révèlent les invariants du mythe du Chaos. Mais ce sont les causes du chaos social, culturel et politique qui démarquent ces récits de l’Apocalypse biblique et des récits aztèques, nordiques et gréco-romains sur le sujet.
À la différence des mythologies anciennes (judéo-chrétienne, gréco-romaine, aztèques, inca, et autres), les causes du chaos sont l’œuvre de l’homme social et politique africain et non des dieux ou de sources surnaturelles. Dans les œuvres du corpus, la prise de pouvoir et sa gestion sans fondement légitime, objectif et solide, de façon brutale s’accompagne de tous les excès : l’intronisation de N’Da Tê et sa bande ainsi que le renversement de l’ordre social ouvrent le récit chez Adiaffi, ; l’irruption au pouvoir du Rhinocéros-Tâcheté et les manifestations de sa dictature constituent l’entame de l’œuvre de Mohamed Alioum Fantouré ; et la guerre fratricide pour la prise du pouvoir entre des groupes ethniques (Tsatus et les Sutus) avec des relents génocidaires marque la première partie du roman de Flore Hazoumé.
Dans LE RÉCIT DU CIRQUE…de la vallée des morts en effet, la gestion du pouvoir acquis de façon illégitime, au moyen de la manipulation et à l’aliénation grâce à l’usage disproportionné de la technologie et des médias par le Rhinocéros-Tâcheté et ses Inquisiteurs anéantit toute humanité chez le peuple de Ce-pays. La dictature humaine et technologique ôte au peuple toute liberté et le maintient enfermé dans l’espace de la salle de cinéma. Ainsi, « l’expression la plus fameuse de l’angoisse vis-à-vis d’une forme de modernité technologique qui a perdu le sens des lieux » (Garnier, 2022, p. 82) se lit dans LE RÉCIT DU CIRQUE…de la vallée des morts. Le peuple de Ce-pays est enfermé dans un lieu (la salle de spectacle) qu’il n’habite pas. L’angoisse et la terreur sont leur lot quotidien à cause des assassinats et de l’espionnage technologique. Dans Ce-pays, le lieu habité est le Mont Dounouya, grand cimetière qui reçoit les restes des habitants massacrés par le régime du Rhinocéros-Tâcheté. C’est donc dans la forêt, espace sylvestre, au pied du Mont Dounouya, que les corps et les âmes des habitants trouvent un lieu qu’ils habitent.
Dans Les naufragés de l’intelligence, c’est l’injustice sociale qui pousse des bandes armées juvéniles (la bande à Nda-Tê) à mettre la société sens dessus-dessous. Dans Le Crépuscule de l’Homme, la gestion tribale du pouvoir politique entraine la guerre civile qui fait le nid de l’épidémie d’Ebola qui décime l’humanité.
Le chaos fait des lieux urbains, dans les univers postcoloniaux représentés, des lieux hétérotopiques, au sens où Foucault définit l’hétérotopie par rapport à l’utopie. Dans ces lieux urbains hétérotopiques se manifeste une écologie que Malcom Ferdinand (2019, p. 44) qualifie d’« altéricide », « c’est-à-dire le refus de la possibilité d’habiter la Terre en présence d’un autre, d’une personne différente d’un moi par ses apparences, ses appartenances ou ses croyances ». La pensée de Malcom Ferdinand indexe les actes d’intolérance et même de négation de l’alter ego humain, surtout dans un contexte postcolonial africain où l’exacerbation des individualismes et de l’égoïsme pousse l’homme africain à se considérer comme le nombril de l’existence par rapport aux autres.
On s’aperçoit donc que ce sont des modes de vie, des actions transformatrices orchestrés par l’homme sur les plans social, culturel et politique qui amènent le chaos dans les sociétés figurées. Mais tel que le dit Jean-Pierre Giraud (2005, p. 367) : « le récit eschatologique semble véhiculer l’idée du mythe de fin, de la destinée ultime du monde, mythe « destructeur » s’il en est. Pourtant la plupart de ces récits augurent d’un anéantissement certes, mais avec la présupposition d’une nouvelle création, cette fois-ci parfaite ». Jean-Paul Giraud postule ici l’idée de la circularité inscrite dans les mythes eschatologiques qui fonctionnent comme des lieux de transition, de passage, généralement à une nouvelle cosmogonie. Ainsi si les actions de l’homme conduisent au chaos, à sa propre fin, celles de et dans la nature prennent le relai pour ouvrir les possibilités d’une nouvelle naissance, d’un recommencement.
C’est pourquoi, les textes romanesques à l’étude configurent l’idée d’un monde alternatif loin du chaos humain, qui a pour ressort l’espace naturel qui se pose comme zone force de transformation, où la frontière entre l’inhumain et l’humain se formalise, où les limites du chaos sont atteintes pour permettre l’accession à un nouvel espace vital pour l’homme. Ainsi, la pratique convergente des lieux naturels paraît être un défi pour les sociétés africaines post-coloniales, qui doit les amener à « sortir de la cale de la modernité en quête d’un monde » (Ferdinand, 2019, p. 169) nouveau, pour reprendre un sous-titre de son ouvrage du critique. On peut comprendre, par cette citation du théoricien de l’écologie décoloniale, que la modernité, notamment occidentale dans le contexte que nous lisons, a constitué un moment d’emprisonnement et de perdition d’un monde africain dans des paradigmes de développement non ancrés. Ainsi, pour s’en sortir, il faut retrouver les lieux naturels (au double sens de traditionnel et d’environnemental) pour sortir de l’ère de Pandore coloniale et post-coloniale, et ce par le passage à une « écologie décoloniale (…) associée à la quête d’un monde défait de ses esclavages, de ses violences sociales et de ses injustices politiques » (Ferdinand, 2019, p. 12).
En définitive, l’héritage colonial du rapport à l’espace se manifeste par un décentrement de l’espace naturel. De nouveaux modes d’habiter le monde, caractérisés par la compétition malsaine entre humains, puis entre l’homme et la nature voient le jour. En se détruisant mutuellement pour occuper l’espace artificiel du pouvoir politique, l’humain, en général, et l’être africain, en particulier, se retrouve sans attache, déterritorialisé puisqu’en fin de compte les valeurs humaines de son espace de vie cèdent la place à une axiologie du bestiaire. Il y a dès lors une logique de chute qui fait quitter l’homme de l’espace humain pour descendre dans celui de l’animalité. C’est pour reconquérir ses lieux perdus que la stratégie auctoriale configure une pratique des lieux naturels sous la forme de parcours initiatiques afin de re-naître par la nature à un nouveau mode d’habiter le monde plus harmonieux.
Pour Xavier Garnier (2022, pp. 83–84), « particulièrement lorsque l’ordre social est fragilisé, où commence à se déliter, montent à la surface du récit des lieux remarquables, garants de la préservation ou de la régénération du territoire en péril (…) Les points-clés renvoient à ces lieux remarquables propices à une relation homme-monde ». Cette réflexion de Xavier Garnier s’inscrit dans la logique du transitionnel défini plus haut par la dynamique de l’imagination chez Gilbert Durand, mais aussi celle de la circularité de la mythologie du chaos. Le critique laisse entrevoir que, face au chaos social, la stratégie auctoriale configure l’avènement de territoires nouveaux où s’expérimentent des rapports harmonieux entre l’homme et son environnement.
Mais dans le corpus, le changement dont il est question ne se fait pas de manière brusque et brutale. Il repose sur une phase transitoire qui amène les sujets humains à franchir le seuil de leur espace social confligène et conflictuel pour accéder à un espace frontière naturel où s’expérimentent les conditions du passage, de la recréation et du renouveau social et humain. Les discours romanesques analysés laissent voir une transition qui s’appuie sur l’activation d’un imaginaire qui rend le futur lumineux par un retour aux sources, aux origines passant par l’environnement naturel.
Né de travaux de l’anthropologue Arnold Van Gennep sur les rites de passage, le concept de liminalité, qui dérive de celui de liminarité, traduit l’idée d’intermédiaire entre deux états. La liminalité recouvre les situations, les lieux ou moments qui marquent une transition, un passage d’un état à un autre, d’un statut à un autre. Ainsi, dans les œuvres littéraires à l’étude, l’environnement naturel constitue cet espace liminal par lequel le passage du chaos social et humain à la vie nouvelle, à la renaissance se rend possible.
Après l’expérience du chaos, en effet, les survivants aux diverses catastrophes et crises convergent tous vers la nature. L’espace social urbain est abandonné pour la forêt dans LE RÉCIT DU CIRQUE… de la vallée des morts : « Au lever du jour, les deux voyageurs reprennent la route. À peine ont-ils quitté la lisière de la Forêt Sacrée que déjà la vallée devient de plus en plus profonde et en pente abrupte » (Fantouré, 1975, p. 106). Ils trouvent refuge dans les collines verdoyantes dans Le Crépuscule de l’Homme : « Et ce fut la même horreur dans chaque demeure. Certaines familles, alertées par la rumeur, eurent le temps de s’enfuir et de se réfugier dans les collines verdoyantes de Bunjalaba. Là-bas, ils établirent des camps de fortunes et se terrèrent dans les grottes » (Hazoumé, 2002, p. 96). C’est un retour dans le milieu rural du village qui est mis en évidence dans Les naufragés de l’intelligence : « Ce n’est pas un hasard si c’est au village que je vais me reposer pour retrouver l’énergie, l’espoir. Nos villages sont des îlots de paix qui ont su garder l’essentiel de nos repères, de nos grandes valeurs humaines » (Adiaffi, 2000, pp. 174–175).
La littérature africaine postcoloniale semble fonder la représentation du passage par la nature qui devient cet entre-deux favorisant la transition vers l’élévation, la renaissance. L’imaginaire autour de la nature en ses dimensions archétypales maternelles (reproduction, fécondité, régénérescence) est mis en évidence par les écrivains. Ainsi, les structures du régime diurne de l’imaginaire qui manifestent le passage, le renouvellement, le changement sont représentés au travers des actions des personnages en rapport avec l’environnement naturel.
En effet, les éléments symboliques comme le couple, le jardin, la rivière, la forêt protectrice, la relation homme-animal, la Terre, la nature, la végétation nourricière, la proximité d’eau courante, qui reviennent comme des constantes dans ces œuvres témoignent de l’euphémisation limitante du chaos existentiel. De fait, face au chaos social et politique qui démontre les limites de l’homme face à sa propre vie et son destin, les survivants des crises et conflits convergent vers la nature où ils expérimentent de nouvelles formes de vie qui dépassent leurs conditions mortelles d’humains.
La nature est érigée comme zone de liminalité qui rend possible le passage du chaos morbide à une nouvelle espérance. Avec l’épistémologie ethnologique et anthropologique, on pourrait considérer la configuration du chaos/renaissance dans les œuvres analysées comme des processus initiatiques avec ses trois phases posées par Arnold Van Gennep et Mircea Eliade que reprend Martin de la Soudière :
un avant (période de séparation et de deuil), un pendant (un entre-deux, nous souffle le psychanalyste Daniel Sibony, phase liminale – de limes, en latin ’’marge, ‘’limite’’) et un après (agrégation), chaque stade pouvant être accompagné – et celui qui le franchit, comme soulagé, par les fameux rites de passage… (De la Soudière, 2000, pp. 7–8)
La configuration de l’eschatologie-cosmogonie dans ces romans africains francophones postcoloniaux s’apparente à une cure thérapeutique par quoi doit passer la société à travers les épreuves de la mort par le feu, le déluge, l’écoulement du sang, les épidémies, les guerres. Il s’agit certainement, par l’esthétique de la consumation dans ces œuvres, de configurer une épreuve d’expiation et de purification de la société. En cela la nature joue le rôle primordial d’espace de la marge où se réfugie l’être humain pour accéder à une nouvelle étape de sa vie.
Ainsi les hymnes à la mère Nature et à la Terre dans Les naufragés de l’intelligence (p. 84), à la Forêt sacrée dans LE RÉCIT DU CIRQUE… (p. 76), et le séjour des couples dans des espaces naturels (Guégon et Motta dans Les naufragés de l’intelligence, Edith et Karim dans la forêt sur les Collines de Bunjalaba), le parcours initiatique de FAHATI conduit par Afrikou dans LE RÉCIT DU CIRQUE…de la vallée des morts sont des illustrations de ce retour aux origines de la Terre, de la Nature pour la régénérescence.
La nature, la forêt, la terre deviennent des lieux de renaissance et de fécondité : ces lieux laissent se développer le schème de la reproduction. Edith et Karim enfantent le futur de l’humanité pris en main par la gorille Babou dans Le Crépuscule de l’Homme ; Géguon, Motta et Blayalè, sont en conjonction, tout comme la modernité et la tradition dans « la communauté des neufs montagnes de Tanguelan » dans Les naufragés de l’intelligence.
Tout est mis en œuvre dans ces romans pour traduire la nécessité pour la société toute entière d’entrer dans ce processus d’initiation pour muter. L’épreuve de la séparation et du deuil est marquée par l’avalanche de chaos qui structure les premières parties de ces récits ; la phase liminale est caractérisée par le franchissement du seuil de la société humaine, ce qui lui permet de réintégrer la nature pour réapprendre de nouvelles conditions de son existence ; et la phase post-liminale, traduite par la nouvelle société projetée, le nouvel état de conscience de l’humain et de son humanité.
Les récits analysés permettent, dès lors, de penser une transition qui trouve ces piliers dans les origines de l’humanité qui est la nature. C’est une transition écocentrée ou naturo-centrée qui a des implications socioculturelles et politiques pour les sociétés africaines contemporaines. Le pari de la nature pris par ces écrivains africains francophones postcoloniaux leur permet d’inscrire leur représentation du monde dans la « circularité constante entre le monde des vivants et celui des morts qui constitue l’un des traits majeurs de la sagesse africaine » (Meslin, 2007, p. 120). Cette forme prégnante du motif du passage à un monde nouveau par l’intermédiaire de la nature résulte certainement de la très grande croyance en la résurrection dans l’imaginaire africain, et inscrit la représentation de la nature dans une dimension mythologique.
Le discours des œuvres laisse émerger les fondements d’une mythologie de la transition pour les sociétés africaines actuelles dont le pont de passage est l’ancrage dans les ressources de la nature. Cette constante du retour aux origines, à la nature laisse profiler dans la littérature africaine francophone postcoloniale les traces d’un mythe littéraire de la transition qui repose sur les structures mythémiques de l’Âge d’or. La flexibilité adoptée par chacun des écrivains irradie diverses significations : chez Jean-Marie Adiaffi, il s’agit d’un retour aux sources culturelles de l’Afrique, avec ses religions traditionnelles et son respect sacré de l’environnement naturel. Avec Mohamed Alioum Fantouré, le discours est écocentré avec l’exigence du respect de l’écosystème cosmique pour la survie de l’humain. Pour Flore Hazoumé, le discours renvoie aux origines de l’humanité avec un brin de darwinisme pour amener l’humain à réapprendre à vivre en humain, en bonne intelligence avec ses semblables dans la différence, l’altérité. Le réinvestissement de l’espace naturel devient un motif de l’écologie décoloniale dans le corpus.
La question que se pose le narrateur dans Les naufragés de l’intelligence (2000, p. 48) est chargée de toute cette signification de la figuration d’une écologie décoloniale à expérimenter :
Comment dépiéger l’Afrique afin qu’elle retrouve la force de ses fauves, la fierté de ses héros, la dignité de son peuple, qu’elle génère de nouveaux mythes capables de lui transmettre une nouvelle joie de vivre, d’inventer, de créer, de solder ses créances, pour aborder le troisième millénaire par des retrouvailles avec la vie ?
Il semble, au regard des configurations romanesques abordées, que cela passe par le chaos apocalyptique comme le suggère encore le narrateur : « Ce monde a échoué : seul un nouveau déluge de sang et de feu le sauvera, renouvellera la sève pourrie, polluée de l’arbre de vie. » La nature devient ce lieu transitoire pour accéder à la nouvelle vie, la nouvelle humanité. Comme cela est écrit dans Le Crépuscule de l’Homme (p. 157) : « Les collines représentaient un refuge transitoire qui leur permettrait de reprendre des forces pour revenir à Bunjalaba et restaurer la civilisation et la démocratie ».
C’est donc la nature qui doit rythmer la bonne marche de l’Afrique comme perceptible dans LE RÉCIT DU CIRQUE… où des personnages écologiques comme Afrikou, la Forêt Sacrée, figure de la terre-mère et de la Forêt Sacrée sont élevés pour prendre en main et conduire la destinée de l’humain. En cela, nous pouvons reprendre Marc Eigeldiger (1983, p. 220) pour dire que le mythe a « la dignité de promouvoir un langage analogique dont la finalité s’accomplit dans les promesses de conjonction » des hommes avec eux-mêmes et avec la nature.
Cette conjonction Homme-Nature peut se comprendre aujourd’hui avec l’idée de plus en plus répandue de la forêt cinéraire qui interpelle la reconnaissance de l’échec de la société humaine dans son mode de vie trop urbain et sa relation ratée avec la Nature, sa nature, sa naissance, d’où le besoin d’une re-naissance loin de la société qui a dévoyée sa première nature.
En définitive, le passage, la transition repose sur un pilier : le retour à la Nature, à la Terre qui constitue l’invariant chez ces auteurs mais aussi le Fil d’Ariane qui permet, une fois le point d’achèvement du chaos atteint de revenir, de retourner, retrouver l’origine, le point de départ d’une harmonie nouvelle. Il s’agit de sortir de l’hétérotopie coloniale pour accéder à un monde où l’utopie est possible, où la renaissance est projetée à partir d’un cheminement initiatique qui a pour support la nature.
La liminalité telle que perçue dans le corpus d’étude s’inscrit dans une dynamique initiatique de renouvellement, comme le définit Delghin-Loyer (2022, p. 183) : « Initiation. Le terme évoque le commencement. Commencement qui émerge d’une fin. Il faudrait plutôt parler de transformation ou de passage. Comment aller d’un passé révolu vers un avenir non encore advenu (…) Un fil tendu entre deux rives ». La logique initiatique place la nature comme espace frontière entre l’univers urbain chaotique et l’espace de la renaissance projeté. Il s’agit d’une liminalité post pandore pour les sociétés postcoloniales en ce sens que les crises écologiques introduites par les pratiques coloniales et postcoloniales des rapports entre humains et entre l’homme et son environnement doivent être dépassées pour configurer une nouvelle écologie décoloniale fondée sur le retour à l’harmonie sociale, à la renaissance dans un cadre naturel.
Après le passage par la nature, zone frontière de l’entre-deux entre la mort et la vie, le chaos et la renaissance, la perspective du changement social s’observe par l’activation d’un imaginaire lumineux et ascensionnel. Comme l’écrit Gilbert Durand (1992, p. 135), « toute épiphanie d’un péril à la représentation le minimise. A plus forte raison, toute épiphanie symbolique. Imaginer le temps sous son vissage ténébreux, c’est déjà l’assujettir à une possibilité d’exorcisme par les images de la lumière ». Cette pensée de l’exégète traduit la force de conjuration du mal, du chaos par l’imagination qui demeure une arme de lutte contre le trépas. Dans ce sens, l’imagination créatrice de l’auteur se met au service de cette élévation au-dessus de l’abîme par le moyen de stratégies scripturales bien pensées.
Ainsi, à l’opposé du chaos, les discours romanesques configurent des motifs du passage, de la renaissance. Cette « nouvelle humanité » dont parle Le Crépuscule de l’Homme, la nouvelle société à partir de la communauté des neuf montagnes de Tanguélan dans Les naufragés de l’intelligence, le renouveau entrepris par l’inquisiteur Mille sous l’initiation de Afrikou dans LE RÉCIT DU CIRQUE… sont l’œuvre de personnages sociaux et culturels, et non de dieux.
Cette cosmogonie nouvelle se manifeste dans les archétypes du jour et de la lumière, les schèmes ascensionnels traduits par les symboles des montagnes, des collines, des monts, et le symbolisme spectaculaire du soleil qui sont occurrents dans le corpus. Dans les œuvres étudiées, l’ancrage des individus dans la nature, la forêt, la terre d’origine rend possible l’advenue d’un nouvel ordre social et humain. LE RÉCIT DU CIRQUE…laisse lire une prise de conscience, un renouveau traduit par un retour à l’enfance du monde :
Des images d’un enfant passent, repassent dans son esprit…un enfant comme les autres, qui joue comme les autres, qui a le même sourire, les mêmes pleurs, les mêmes joies que les autres. Une musique monte, se fait entendre en lui, FAHATI sourit encore, une larme coule doucement de ses yeux, il ne l’efface pas, il remue simplement la tête et dit comme pour se rassurer – Tout arrive, je ne savais plus ce que signifiait ‘larmes’…Il fait si beau aujourd’hui…sur le Mont Dounouya…Merveilleuse terre qu’est Ce-pays… (Fantouré, 1975, p. 115)
Chez Flore Hazoumé, la renaissance prend des airs de darwinisme avec une reconstitution de l’humanité détruite : « ‘’C’était la fin du monde’’, serait-on tenté de dire. Oui…mais, quelque part en Afrique, au plus profond de la jungle, vivaient paisiblement une maman gorille et ses trois enfants, une bien étrange famille » (Hazoumé, 2002, p. 199). Avec Jean-Marie Adiaffi, la destruction appelle une nouvelle société avec de nouveaux acteurs plus ancrés dans la tradition et les valeurs africaines :
Allez plutôt, allez annoncer au monde entier la victoire de la prophétesse AKOUA MANDO SOUNAN, la victoire de la lumière du Bien (…) Ce roman prend fin avec leur monde condamné à mort, sa destruction totale et la résurrection, la renaissance africaine avec la venue de la troisième génération (…). (Adiaffi, 2000, p. 325)
Si les œuvres configurent ces deux mythologies comme des revers d’une même médaille, c’est le fondement du passage de l’une des rives à l’autre qui nous intéresse au plus haut point. La plupart des mythologies décrivent la manifestation eschatologie/cosmogonie comme un cycle, les textes littéraires étudiés entrevoient l’espoir d’une nouvelle naissance comme une borne de la fin du chaos. Il s’agit certainement de la volonté de ne pas voir l’Afrique s’engluer dans cet éternel retour au mal. Et pour cela, tout renouveau doit prend appui sur des fondements solides. D’ailleurs, ces œuvres définissent, dans une sorte de messianisme fondé sur la nature, le type de société, de monde et d’homme nouveaux qui succèdent au chaos.
La renaissance touche à la fois à la société et à l’homme dans les œuvres à l’étude. Elle se manifeste par une coupure des êtres humains d’avec l’ancien monde, celui du désastre, en déconfiture. Cette coupure a pour point d’appui la nature qui est le lieu de séparation entre l’humanité et l’inhumanité, entre l’obscurité et la lumière. Avec l’abandon de l’univers apocalyptique, c’est dans l’environnement naturel que les humains se réfugient pour se ressourcer, pour se construire une nouvelle conscience du monde, pour se redéfinir une nouvelle identité face à l’altérité de la nature et des autres espèces du cosmos.
Le parcours des personnages principaux illustre une fin et un nouveau commencement, un départ nouveau dont la zone frontière est la nature qui apparait comme un refuge face à la fin du monde humain, à la finitude de l’homme. Ils redécouvrent les possibilités et les facettes d’un monde meilleur, d’une société améliorée dont ils n’avaient pas pris conscience et qu’ils ont désormais en projection.
La place centrale de l’Homme dans la destruction et la construction du monde dans les littératures africaines francophones postcoloniales le positionne désormais comme maitre de son destin. C’est à lui donc d’œuvrer à un changement qualitatif du monde, de la société. Mais il ne peut trouver des moyens de la résilience que dans les fondements d’une transition pacifique et harmonieuse qui repose sur un retour/recours au naturel.
En définitive, face aux limites de l’humain et de l’humanité devant la vie, il est impérieux de s’adosser sur la force de la nature qui, par sa dimension cyclique et d’éternité, est seule capable de permettre notre passage du mal au bien, de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière. L’esthétique de l’entre-deux développée par ces écritures africaines francophones postcoloniales avec la nature comme zone frontière de transit revêt une dimension écocritique pour les sociétés africaines. L’esthétique littéraire adoptée par les auteurs étudiés véhicule, en effet, le recours au mode d’habiter le monde africain comme voie de renaissance. Cela passe par le réapprentissage de la vie dans la forêt, l’inversion de l’exode de la ville au village, tel que figuré dans le corpus. Il s’agit de reconstruire « le pays à partir des lieux » naturels, pour reprendre le titre d’un chapitre de Xavier Garnier (2023, p. 83), en déconstruisant les paradigmes coloniaux et impérialistes du rapport de l’homme à la nature. L’écopoétique de la liminalité développée par les œuvres postule ainsi une renaissance par un retour à l’expérience d’une écologie décoloniale qui décentre les rapports humains institués par les pratiques coloniales des espaces naturels et de vie pour retrouver l’harmonie des origines.
En cela, le discours postcolonial qui est aussi un discours de retour à la nature manifeste, dans les configurations narratives des œuvres étudiées, des formes d’écriture du développement durable et écologique qui visent à réconcilier l’Africain avec ses lieux, une des conditions pour réduire son errance chaotique matérialisée dans la réalité quotidienne par les phénomènes migratoires désastreux.
[1] Dans l’ouvrage de Braunstein Florence et Pépin Jean-François (1995) présentent diverses mythologies d’horizons différents (judéo-chrétienne avec le texte johannique de l’Apocalypse, chez les Maya, les Aztèques, les Nordiques, dans l’Antiquité gréco-romaine et dans les mythologies africaines) qui montrent la création du monde, de l’humanité, la destruction de l’humanité avec comme axe sémantique les extrêmes Chaos-Cosmogonie.
[2] Virginie Konandri affirme dans l’avant-propos de Littérature et identités : quelques lectures mythocritiques que : « Loin de représenter un pessimisme, l’approche critique des mythes eschatologiques donne lieu d’espérer puisqu’ils préfigurent des cosmogonies, espaces d’expansions culturelles » (2013, p. 11). Expansion culturelle qui repose dans ce cadre certainement sur un substrat mythologique réactivé par ces écrivains : la mythologie de l’âge d’or en son expression de mythe de la bonne nature et de modèle de civilisation.
[3] « La plupart des civilisations anciennes qui nous ont laissé des témoignages écrits, égyptiennes, mésopotamiennes, iraniennes, grecques, romaines, précolombiennes développent des conceptions cycliques de l’histoire ignorant une fin absolue. Mais c’est incontestablement en Inde que l’on trouve les développements les plus élaborés (…) ». (Laubier, 1998, p. 11)
[4] Nous reprenons cette expression du titre de l’ouvrage de Pierre Shoentjes (2005) qui inaugure l’écopoétique en France.
[5] Si la représentation littéraire des lieux de vie dans le corpus montre un univers de chaos inauguré par des pratiques écologiques de l’ère coloniale et dont les réminiscences se font sentir dans la postcolonie, la configuration d’une écopoétique de la liminalité se révèle être une stratégie de passage, de transition vers un monde dénué de crises morbides, qui trouve son fondement dans une écologie décoloniale où la réconciliation de l’Africain avec son mode d’habiter le monde s’effectue par la médiation de la nature.
[6] L’ouvrage théorique et méthodologique, Les structures anthropologiques de l’imaginaire de Gilbert Durand, pose deux régimes de l’imaginaire. Le régime diurne de l’imaginaire qu’il présente comme un régime antithétique et qui est celui de la lutte contre l’angoisse, la mort, et le régime nocturne, qui est globalement celui de l’euphémisation et de l’adoucissement qui laisse le temps agir. Ces deux régimes se traduisent dans deux visages du temps : celui de l’angoisse et de la mort avec les symboles thériomorphes, nyctomorphes et catamorphes opposés aux symboles diaïrétiques, spectaculaires et ascensionnels, cycliques, de l’intimité qui sont du côté de la victoire contre la mort.
Émile Amouzou est originaire de Téhini (Nord-Est de la Cote d’Ivoire). Ancien élève de l’École Normale Supérieure d’Abidjan et Docteur en Littérature Générale et Comparée de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire), il y est Enseignant-Chercheur depuis février 2018. Maître-Assistant de Littérature Générale et Comparée et membre du Laboratoire de Littératures et Écritures des Civilisations (LLITEC) dans ladite Université, il s’intéresse aux rapports entre la littérature et les sciences humaines dans une dimension interdisciplinaire. Ses travaux actuels (plus d’une dizaine d’articles et de communications publiés dans des revues comme Nodus Sciendi, Le Caïlcédrat, Inter Lignes, Literaport, Mouvances Francophones) portent sur le mythe littéraire, la mythocritique, l’identité et l’altérité, les humanités écologiques et l’interculturalité. Il s’intéresse également à la didactique des humanités pour laquelle il a publié un essai récent (Littérature comparée et enseignement du français. Pour une didactique des humanités en Afrique ; cas de la Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2023). Il est par ailleurs diplômé en Communication Politique et des Organisations et Doctorant en Gestion des conflits et Culture de la Paix à la Chaire UNESCO pour la Culture de la Paix de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Il a co-publié un livre à Publibook Paris en 2017, intitulé Réseaux locaux de communication et participation communautaire dans les Collectivités territoriales en Côte d’Ivoire.