Celui qui est digne d’être aimé d’Abdellah Taïa : les masculinités remises en cause

Júnior Vilarino / Universidade Federal de Viçosa / Brésil

Dans la métafiction épistolaire Celui qui est digne d’être aimé (2017), d’Abdellah Taïa, la performativité rend possible que des personnages masculins et féminins, Européens et Arabes, consolident des oppressions masculinistes et racistes. Nous avançons l’hypothèse d’une double valence de la masculinité dans ce récit afin d’analyser d’abord, à travers la notion de « bloc hégémonique masculin » (Demetriou, 2015), le rôle actif d’Ahmed dans l’altérisation de son identité d’immigrant arabe. Nous proposerons ensuite que le concept de masculinité hégémonique (Connell, 2015) reste un opérateur pertinent pour aborder les motivations orientalistes d’Emmanuel. Nous essayons de démontrer enfin que l’identification d’Ahmed à des personnages féminins opprimés, alliée à son jugement de l’engagement sexuel d’André Gide avec un adolescent arabe, lui permet de rompre avec une masculinité orientaliste oppressante et d’enlever le masque blanc (Fanon, 1952) d’immigrant africain gay parvenu et intégré. Nous démontrerons que le travail sur les masculinités est récurrent dans l’œuvre d’Abdellah Taïa et que Celui qui est digne d’être aimé, comme un roman décolonial, constitue un tournant politique par lequel l’auteur associe les masculinités à l’orientalisme européen.
Mots-Clés : Abdellah Taïa ; Colonialité ; Masculinités.

1. Introduction

Dans la métafiction épistolaire Celui qui est digne d’être aimé (2017), Abdellah Taïa construit une symétrie ethnico-politique entre le couple amoureux fictionnel Ahmed-Emmanuel et l’engagement sexuel d’André Gide avec un adolescent africain, survenu lors d’un voyage de l’écrivain français à Biskra et narré par celui-ci dans le récit Si le grain ne meurt (1924). Dans cet article, nous avançons l’hypothèse d’une double valence de la masculinité dans le récit de Taïa afin de démontrer, en premier lieu, que la notion de « bloc hégémonique masculin » (Demetriou, 2015, p. 11) permet d’aborder le rôle actif d’Ahmed dans le processus d’altérisation de son identité d’immigré marocain au sein de la relation avec Emmanuel. Nous proposerons, en second lieu, que le concept de masculinité hégémonique (Connell, 2015, p. 2) reste un opérateur pertinent pour penser les motivations orientalistes d’Emmanuel en contexte post-colonial.

Nous postulons que l’identification d’Ahmed à des personnages féminins opprimés du récit met en évidence une colonialité avec des particularités masculinistes exercée sur le savoir et le corps de l’homosexuel africain. Pour penser cette identification, nous formulons le terme de « solidarité performative », logique selon laquelle les dissidents du genre, dont Ahmed et les femmes auxquelles il s’identifie, se placeraient dans des situations qui se solidarisent théoriquement en fonction d’une altérité radicale au féminin qu’ils incarnent et performent, en problématisant l’oppression coloniale performée par Emmanuel, de laquelle Ahmed dévoile les ressorts machistes. Nous partageons le point de vue des théories queer afin de proposer que l’identification d’Ahmed au féminin remet en cause l’essentialisme du sexisme biologique par le déploiement de « pratiques du corps et des discours » (Masson ; Thiers-Vidal, 2002, p. 44) lui permettant de juger la réification sexuelle et langagière qu’il subit comme étant solidaire de celles vécues par les femmes de l’espace romanesque.

Les masculinités dans l’œuvre d’Abdellah Taïa ont fait l’objet de l’article « Un homme qui a oublié d’être un homme » : la masculinité dans l’œuvre autofictionnelle d’Abdellah Taïa, de Gibson Ncube (2019). L’intérêt de cet essai est de présenter le plaisir et la soumission comme des valeurs autour desquelles s’organise la sexualité dans les sociétés arabo-musulmanes. La notion occidentale d’orientation sexuelle n’y est pour rien. La masculinité caractérise donc l’homme qui ne prend pas de plaisir à se faire sodomiser (Ncube, 2019, p. 165). La respectabilité d’un homme marié découle de l’image de père de famille qu’il se cultive, même s’il se livre à des pratiques sexuelles déviantes (Ncube, 2019, p. 166). Passées sous silence, ces pratiques sont tolérables. Pour Ncube (2019, p. 169), les autofictions de Taïa procèdent à la problématisation de la « définition simpliste de la masculinité arabo-musulmane ». Dans un monde genré où la féminisation est ce qui peut disqualifier un homme, l’œuvre de l’écrivain marocain est à contre-courant : « Le protagoniste-narrateur de Taïa refuse de reproduire machinalement ces exigences de la société. Que ce soit dans la vie courante ou dans les relations sexuelles, ils ne sont pas honteux d’assumer le rôle passif » (Ncube, 2019, p. 174).

Quant à notre propos, nous nous penchons sur les personnages féminins auxquels le narrateur Ahmed s’identifie politiquement et éthiquement dans Celui qui est digne d’être aimé. Penser la remise en cause des masculinités dans ce récit requiert également la prise en compte des hybridations culturelles et interethniques caractérisant l’univers romanesque. Abdellah Taïa conçoit un vaste champ interculturel d’interactions de différentes masculinités issues de contextes européens et arabes, considérés séparément, et ceux migratoires, dans lesquels des personnages arabes et européens se déplacent entre le Maroc, l’Algérie et la France. À nos yeux, plus hybride ce contexte narratif se montre culturellement, plus les masculinités qui s’y représentent ouvrent le champ du possible et du potentiel, du pouvoir et de la puissance, des réitérations et des agences, des convergences et dissemblances, du déni et de la béance des oppressions. Nous formulons l’hypothèse que la contribution du récit de Taïa à l’esthétique du roman contemporain à vocation cosmopolite consiste à associer au thème de l’hybridisme des valeurs masculinistes celui de l’orientalisme. Nous soutenons par conséquent que cette présupposition d’un masculinisme orientaliste structurel et systématique inscrit le récit dans l’esthétique du roman décolonial.

Dans un article de 2015, La masculinité hégémonique : lecture critique d’un concept de Raewyn Connell, Demetriou (2015) problématise le concept de « masculinité hégémonique », qu’il croit fondé sur le binaire génital, insérant l’orientation homosexuelle dans le champ de la masculinité et proposant que ce dernier consisterait plutôt en un « bloc hégémonique masculin » regroupant « des pratiques et d’éléments hétérosexuels comme gais, blancs comme noirs » (p. 10), dont l’objectif ultime est le maintien du patriarcat. Connell (2015, p. 3), à son tour, dans l’essai Hégémonie, masculinité, colonialité, note que « les masculinités de l’empire étaient nécessairement liées à la violence ». À l’époque contemporaine, la masculinité hégémonique consisterait en une recherche constante de l’imposition de rapports de force et de pouvoir qui hiérarchisent les genres, ce qui remonte à la colonisation : « le colonialisme est une scène qui accueille des projets collectifs multiples, de la part des colonisés comme des colonisateurs, en vue de la formation des masculinités hégémoniques, des projets – souvent violents – ​​en vue de la constitution d’ordres de genre » (2015, p. 5).

Les approches critiques de la dichotomie sexuelle, comme celle de Demetriou, prenant en compte la performativité constitutive des genres, représentent une ouverture du champ des masculinités. Cette méthodologie nous intéresse car, dans cet article, nous nous intéressons à la métafiction épistolaire Celui qui est digne d’être aimé (2017), d’Abdellah Taïa, qui, selon nous, dialogue avec la notion de « bloc hégémonique masculin » de Demetriou. Cet auteur soutient que l’homosexualité réitère des normes de la masculinité patriarcale. Ahmed, en quelque sorte, s’en serait rendu compte en se débarrassant de la tutelle d’Emmanuel, ce qui le pousse à s’identifier à la condition féminine face à une masculinité oppressante : « J’ai trouvé un autre travail. Une autre langue. […] Je pourrais me réconcilier avec mon premier monde. Ma mère dure, sans Hamid, mon père. Mes sœurs trahies par la vie » (Taïa, 2017, p. 95). À l’origine, au sein d’un couple interracial et interethnique, Ahmed (Marocain) et Emmanuel (Français), assument des postures les plaçant l’un envers l’autre dans les méandres d’une colonialité du savoir et du corps, avec laquelle Ahmed finit par rompre : « Comment fait-on pour devenir à ce point-là aveugle, donner tout de soi à l’autre et à sa culture dominante ? » (2017, p. 86).

D’autre part, tout en étant homosexuel, Ahmed associera sa situation de « colonisé » à celles de femmes opprimées de son entourage et de celui d’Emmanuel. Cette identification, nous la désignerons ici par le terme de « solidarité performative », motivés par la récurrence, dans l’œuvre d’Abdellah Taïa, de personnages gays subalternisés s’identifiant aux oppressions subies par des femmes. De ce fait, l’effectivité d’une masculinité hégémonique de base colonialiste ne serait pas exclue, car l’amant français exerce sur l’amant marocain les pouvoirs masculinistes de la colonisation, telles que l’altérisation sexualisante, dans une relation annihilante pour Ahmed.

Abdellah Taïa, en dialogue avec les approches décoloniales, construit le personnage d’Ahmed comme celui qui se perçoit dans un rôle permissif de l’oppression. En dépit de sa subalternité et de sa condition raciale et culturelle, Ahmed opère lui-même pour assurer les conditions de production de la colonialité du savoir en tant que l’intellectuel qu’il deviendra sous l’influence de l’idéologie d’Emmanuel, défenseur des valeurs civilisatrices du colonisateur, « encore totalement colonisé dans [sa] tête » (2017, p. 103). Ces valeurs, il finira par les entendre comme étant du «néo-colonialisme» (2017, p. 91) dans la relation entre les deux compagnons.

Quant au personnage d’Emmanuel, il le conçoit comme un Français incarnant les valeurs de la colonialité du savoir avec des motivations orientalistes. Ahmed insiste sur la posture masculiniste hégémonique d’Emmanuel, dont les causes se trouveraient, selon lui, dans l’histoire familiale de celui-ci, dont le père resta indifférent à la virulence d’un amour adultère ressenti autrefois par sa mère : « Pourquoi tu avais choisi d’être comme ton père, en permanence dans la maîtrise, dans le contrôle et la froideur ? » (2017, p. 100). Ahmed, au contraire, dans la première lettre du récit, qu’il écrit à Malika, sa feue mère, s’identifie à l’autorité qu’elle exerce après la mort du père : « Dans la maison, c’était désormais toi et ta loi. Le champ était libre. L’homme n’existait plus. La femme allait tout reprendre, tout réécrire » (2017, p. 13).

Brouillant les notions de masculinité et de féminité, sans pourtant perdre de vue le masculinisme structurant les pratiques coloniales et post-coloniales, la métafiction d’Abdellah Taïa affronte la complexité des relations amoureuses interethniques dans le but de penser les conditions de production d’une éthique de l’altérité pour les immigrants africains.

2. Abdellah Taïa et les masculinités en dérision

À travers une textualité ironique, reposant sur l’incongruence de l’abandon de la langue française à l’instant même de l’énonciation dans cette langue, Ahmed, dans une lettre adressée à Emmanuel, son partenaire français, décide de l’abandonner après 13 ans de vie commune : « Cher Emmanuel, ma décision est prise. Cette nuit, dans le lit à côté de toi, j’ai vu clair » (p. 81). Voir clair exprime une conscience de l’absence d’amour : « Je sors de toi et je sors de cette langue que je ne supporte plus. Je ne veux plus parler français. J’arrête de fréquenter cette langue. Je ne l’aime plus. Elle non plus ne m’aime plus » (2017, p. 81).

S’il est possible de dire que l’amour suppose le miroir inversé de l’altérité, Ahmed se rend compte de son absence, effectuant une anamnèse qui identifie la cause de sa découverte : « Tu étais plus âgée que moi. Au lieu de me protéger, de me réconcilier avec mon monde, tu m’en as détourné. Pire : tu as imposé ta vérité comme unique et valable » (2017, p. 83). Emmanuel fait table rase des appartenances culturelles d’Ahmed. Curieusement, « me protéger » pourrait donc faire allusion au protectionnisme français au Maroc, ce qui approfondit historiquement le lien de causalité coloniale de la relation que l’Européen expérimenté venait d’entamer avec le jeune homme. Dans un autre extrait, on peut lire : « Tu n’as songé à aucun moment à me protéger. Tu étais peut-être totalement sincère, innocent même » (2017, p. 96). Ici, le thème de la bonne foi concernerait l’inconscience dans laquelle se trouvaient les deux compagnons du potentiel néocolonial de leur relation, ce dont Ahmed avait pris conscience : « Avec le temps, j’ai fini par comprendre que j’étais non seulement un assisté mais également un colonisé » (2017, p. 101).

Et pourtant Ahmed procède à l’autocritique, assumant non seulement l’acceptabilité de celui qui s’était laissé assister, mais qui avait conçu le projet de devenir, pour ainsi dire, un colonisé assisté. Il l’assume en réfléchissant à sa relève, que Kamal allait prendre, un étudiant arabe qui viendrait à Paris étudier sous la direction de Emmanuel et qui aurait, selon Ahmed, la place qu’il avait eue dans la vie de son amant et pourvoyeur français : « Tu es fasciné par Kamal. Je le vois. Je le constate. Et je n’arrive pas à lui en vouloir, à Kamal. Il a raison de foncer, de te faire la cour […] Il mise sur une solidarité d’Arabes homosexuels pour obtenir une vengeance historique, post-coloniale » (2017, pp.107–108). L’emploi ironique du mot « solidarité » relève du discours indirect libre, par l’incorporation du point de vue des Occidentaux, qui ne se lasseraient pas de souligner les stratégies migratoires des ex-colonisés.

Cette référence critique à un projet conçu par les colonisés afin de parvenir renvoie aux masques blancs de Frantz Fanon (1952), qui s’était penché sur les facettes du masquage racial en contexte colonial, surtout le linguistique, qui présupposait l’obsession pour la langue colonisatrice : « Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine » (Fanon, 1952, p. 14). Quant à Ahmed, il s’apercevra enfin de s’être fait déculturaliser : « J’ai bien voulu tout abandonner, tout quitter, tout détruire. Remplacer ma sensibilité par une autre. Mes mots par les tiens. L’arabe par le français » (2017, p. 84). Le masque blanc finit donc par lui coller dessus : « J’ai changé de monde, j’ai changé de peau. Je parle et j’écris aussi bien que toi le français » (2017, p. 88).

De cette façon, la complexification de la réflexion historique d’Abdellah Taïa n’épargne pas les immigrés, soulignant les moyens qu’ils se sont trouvés pour parvenir. Tels des arrivistes, les homosexuels avaient joué sur le désir, la fascination par l’Occident et leur précarité, qu’ils avaient su monétariser :

Un autre corps arabe sera là pour te satisfaire et, au passage, profiter de toi comme je l’ai fait pendant des années. Sans vergogne. J’ai misé sur toi, moi aussi, sur la plage populaire de Salé. J’ai pris ton argent. Cela ne m’a posé aucun problème moral. (Taïa, 2017, pp. 107–108).

Le jugement n’étant pas d’ordre moral, c’est toutefois l’hypothèse d’une éthique raciale du rapport amoureux qui est prise en compte, ce qui montre que l’ère post-coloniale, dans la perspective de Taïa, n’est pas celle de l’épanouissement d’un sujet homoérotique libéré des effets de la colonialité, dont il importe de soulever l’effectivité dans le temps présent. Ainsi, la bonne foi qui présidait, dès la rencontre des compagnons, faisait croire à Ahmed qu’il lui était possible, aux débuts de la séduction et de la conquête amoureuse, de répondre, avec une certaine supériorité, à la demande d’Emmanuel : « Mais j’avais réussi l’impossible : t’amener à la jouissance extrême et à la vulnérabilité extrême » (2017, pp. 91–92). Le champ sémantique de la vulnérabilité semble fonder une dynamique de l’objet-fétiche, d’un manque imaginaire vécu comme privation et frustration, qui ne pouvait guère présupposer la dimension symbolique du désir, fondée sur l’altérité et le partenariat humanisé. Les extrêmes se placent l’un pour l’autre comme objet de la demande, Emmanuel comme savoir et Ahmed comme corps.

Entre la précarité constitutive et l’excès imaginaire, Ahmed vit son processus d’acculturation à la vie française. Néanmoins, au fur et à mesure de ce processus il en critiquait certains enjeux, comme s’il s’approchait peu à peu du passage à l’acte de l’abandon libérateur, de l’arrière-fond du « néo-colonialisme » (2017, p. 91) structurant l’attache d’un compagnon à l’autre. Petit à petit, il répète une sorte de sortie du champ imaginaire et fantaisiste du masque blanc, tentant de récupérer quelque chose du souvenir de sa condition d’immigré racialisé. La racialisation compte sur un dispositif linguistique assez représentatif : parce qu’il jugeait le prénom Ahmed « impossible à prononcer », Emmanuel lui a donné le surnom de Midou, un prénom de « chien », n’ayant même pas accepté la suggestion de « Hamidou » que lui avait faite Ahmed lui-même, car « ça sonnait trop arabe, trop de là-bas » (2017, p. 89). L’effacement de l’identité imposée « exigeait l’amnésie de soi ainsi que la conformité mimétique avec les certitudes de la société franco-française ethnocentrée » (Heyndels, 2020, p. 130).

Cette tentative d’interrompre la racialisation progressive, il la fait par le souvenir de Lahbib, un ami d’enfance marocain. Cet ami avait eu, avant même qu’Ahmed ne fasse la connaissance d’Emmanuel, un compagnon français beaucoup plus âgé qui l’abandonna, ce dont il ne put se remettre. La lettre suicidaire qu’il envoie à l’ami Ahmed, la dernière des quatre lettres composant le récit Celui qui est digne d’être aimé, dresse un état semblable à celui de la relation entre Ahmed et Emmanuel. Lahbib s’était fait entretenir depuis l’âge de 14 ans par Gérard, à la différence près que celui-ci rompt trop tôt avec la relation, du fait de ses penchants hébéphiliques désireux de nouvelles rencontres.

La mort symbolique (nominale) d’Ahmed lui rappelle celle, symbolique et réelle, de son ami Lahbib. Dans ce sens, Lahbib est une sorte d’alter ego pour Ahmed. L’identification de l’un à l’autre est d’autant plus forte qu’il se serait fantasmé entre eux une sorte de relève dans la vie de l’amant français : « Gérard avait trouvé la bonne occasion pour se débarrasser de moi. J’étais désormais trop vieux. 17 ans et déjà trop vieux. Pire : je n’avais même pas réussi à lui ramener mon remplaçant. Toi. Toi, Ahmed ! » (2017, p. 113). Il est curieux de remarquer que le récit construit, par une mise en abîme, la dimension tripartite de la relève : Ahmed aurait remplacé Lahbib ; qui se fera remplacer à son tour par Kamal.

Dans cette dimension tripartite de la relève des africains arrivistes les uns par les autres dans la vie des homosexuels français, on peut remarquer une double signification : la première a trait à cette conscience historique et postcoloniale d’Abdellah Taïa qui souligne le rôle des amants ex colonisés dans un « bloc de la masculinité hégémonique » ; la deuxième concerne l’autre biais de cette conscience décoloniale qui pense la précarité des homosexuels africains épris d’hommes européens dans le contexte de la production ininterrompue des effets de la colonialité.

L’aspect émotionnel est un facteur important pris en compte par Ahmed dans sa pensée critique concernant la production des effets coloniaux au sein des rapports entre homosexuels africains et européens. La découverte de la réification du corps par une sexualité débordante – Ahmed met en relief l’intensité, voire la voracité de l’étreinte physique avec Emmanuel au moment de leur rencontre dans un cimetière de Salé – n’est aucunement moralisante dans la perspective d’Ahmed. C’est plutôt à ses yeux l’altérité qui avait fait défaut dans cette relation, laquelle, au bout de 13 ans, s’avère dépourvue du sens de l’ouverture à l’autre et constituée par l’imposition écrasante de pratiques relationnelles eurocentrées. Ce n’est même pas la médiatisation par la situation de classe qui soit en mesure d’attribuer à leur relation les traits d’un partenariat humanisé, c’est-à-dire que l’ascension bourgeoise et universitaire d’Ahmed, de laquelle Emmanuel est le pourvoyeur, ne garantit pas son immersion humanisante à la culture française.

Des études anthropologiques ont démontré le rôle important que joue l’aspect émotionnel en association avec la réussite économique des immigrants au sein de couples interethniques (Gouyon, 2018, p 77). S’intéressant au parcours d’homosexuels marocains émigrés en France, l’auteur propose le lien étroit entre mobilité spatiale et mobilité émotionnelle, ce qui montre qu’un sentiment de vide peut se produire chez ces immigrants dans des relations basées strictement sur l’objectivité des facteurs structuraux. Le parcours de l’un des sujets de la recherche menée par Gouyon illustre cette problématique :

Les structures objectives de l’économie se mêlent aux structures objectivées des émotions et se performent les unes et les autres. Il [le sujet de la recherche] a pris conscience très tôt que sa mobilité socio-économique pouvait devenir effective et efficiente en alliant différentes sphères : le travail, la sexualité (relations d’intérêts immédiats) et les émotions (relations profondes). (Gouyon, 2018, p. 77)

Dans l’ouvrage de Taïa, il y a comme une chaîne de rapports en déficit de liens émotionnels, dont le premier est celui de Lahbib avec Gérard, qui préfigure celui d’Ahmed avec Emmanuel, et qui, associé au niveau historique, réédite l’impérialisme d’André Gide possédant un garçon arabe. En adolescent, Lahbib avait vécu avec Gérard, au Maroc, une relation oppressante, de dépendance économique et émotionnelle. Ironiquement, Lahbib veut dire « celui qui est digne d’être aimé », et il ne l’était pas, ne s’en étant même aperçu ou bien en fermant les yeux pour ne pas s’en rendre compte : c’est sa belle-mère qui le lui a fait voir : « C’est son fils qu’elle me disait de fuir. Elle voyait comment il me traitait et elle n’était pas d’accord » (2017, p. 110).

De cette manière, Lahbib, Ahmed et Kamal sont les partenaires de rapports amoureux dont l’amour, en tant que miroir inversé de l’altérité symbolique, se trouve forclos. La pensée de Taïa, à nos yeux, ne procède pas à un jugement moral de l’arrivisme et des mobilités migrantes à des fins économiques ; ce ne sont surtout pas les liaisons interethniques, dans lesquelles l’ascension socioéconomique des immigrés africains est promue, ce qu’il désapprouve. C’est le risque imminent de production de la déshumanisation, de l’altérisation, au sein de ces relations qu’il constate. Dans cette optique, il faudrait se demander quels seraient les dispositifs de production de l’amour, de l’amour de l’autre, au-delà de l’érotisme proprement dit.

Aussi le souvenir de la vie de Lahbib rappelle-t-il qu’une vie est digne d’être rappelée, à l’instar du jeune homme, dont le prénom veut dire « celui qui est digne d’être aimé ». Une question posée par Ahmed à Emmanuel en dit long : « Te souviens-tu de Lahbib ? Je t’ai parlé de lui tellement de fois quand tu venais au Maroc » (2017, p. 87). L’argument avancé par Emmanuel insiste sur la résolution du complexe colonial : « Tu me gonfles, Midou. La France a quitté le Maroc en 1956 ». Sur ces mots, il réfute catégoriquement la continuité, au présent, des effets coloniaux : « Et tu es ici à Paris, logé, nourri, depuis plusieurs années maintenant… De quoi tu parles ? Je suis un raciste, pour toi ? » (2017, p. 91). Abdellah Taïa invite le lecteur à approfondir les enjeux de l’immigration à la confluence du genre (même si les hommes s’exploitent entre eux, les conditions d’exploiter et se faire exploiter renvoient aux conditions coloniales de production d’une vie migrante vivable, donc de la colonialité), de la race, de l’acculturation, de la misérabilité sociale, autant de facteurs producteurs de la précarité. C’est la raison pour laquelle Ahmed, en soulevant la question de sa mort symbolique, réitère l’idée de l’épistémicide culturel qu’il se voit en train de subir par l’effacement de son prénom : « Midou, c’est qui ? Et Ahmed, il est où ? Mort comme son ami d’enfance, Lahbib ? » (2017, p. 90).

Pour Judith Butler (2010), la vulnérabilité est ontologique à l’être vivant, tandis que les dispositifs de pouvoir et les relations de pouvoir produisent de la précarité. Le deuil, sous la forme d’une vie constamment mise en valeur, symboliquement et continuellement pleurée, est l’un des moyens de production de la vie :

Sans la possibilité du deuil, il n’y a pas de vie ou, plutôt, il y a quelque chose qui vit, qui est autre chose qu’une vie. Au lieu de cela, ‘il y a une vie qui n’aura jamais été vécue’, maintenue par aucun regard, aucun témoignage, et qui ne sera pas pleurée quand elle sera perdue. (Butler, 2010, p. 46)

L’anéantissement ou la protection de l’être vivant résulte de tels dispositifs et relations. Nous considérons ici que la relation entre Ahmed et Emmanuel, dont le substrat orientaliste ne pouvait être négligé, avait un dispositif qui a produit la vie d’un immigré marocain parvenu selon l’intelligentsia française. Ce dispositif, cependant, dans l’anamnèse d’Ahmed, non seulement supposait chez lui un degré extrême de vulnérabilité, mais produisait une précarité caractérisée par l’altérité radicale qui lui avait été attribuée par le regard européen et dont il ne se débarrassera jamais : « Je ne veux plus être guidé par toi, faire les choses selon toi. Être bien comme il faut : un Parisien comme les Parisiens, pas trop arabe pour toi et pour ton monde, pas trop musulman, pas trop de là-bas » (2017, p. 81).

Ce que l’on peut déduire du processus qui, en théorie, conduirait Ahmed de la vulnérabilité à un idéal d’immigrant parvenu et intégré à la société française, c’est qu’il a eu pour effet, sous prétexte d’altérité, la violence de la racialisation et de l’altérisation : « Non seulement il faut s’intégrer de force dans la société française, mais si, en plus, à faire oublier notre peau, notre origine, ce serait parfait » (2017, p. 92). Dans cet extrait, le discours indirect libre, par l’incorporation implicite du discours postcolonial, souligne la naturalisation d’un processus annihilant pour l’Africain. Au présent de l’énonciation de la lettre qu’Ahmed est en train d’écrire, il réfléchit à l’impossibilité de l’émergence de la dialectique de l’altérité. Ce qui, entre les deux, pourrait constituer l’écoute de l’articulation de l’autre dans la langue étrangère s’avère cependant être une insuffisance, une carence du point de vue d’Emmanuel, le civilisateur, celui qui détient le savoir tant désiré par l’Africain et dont celui-ci n’a pas cherché à saisir, au départ, l’épistémicide : « Tu m’as corrigé tout de suite : ‘Mon français n’est pas bon...’ C’est le verbe ‘être’ qu’il faut utiliser ici... et non pas ‘avoir’ » (2017, p. 86).

Ainsi, dès les premières interactions, Emmanuel incarne le rôle de l’Européen civilisé, initiant le colonisé aux domaines de la grammaticalité. Correction linguistique, adéquation, standardisation, normalisation. Les notions culturelles plausibles pour apprendre la langue de l’autre sont l’assimilation et la domination : « Ni moi ni mes djinns n’étions en mesure ce jour-là de deviner à quel point ta dictature naturelle allait tout écraser en moi, absolument tout dominer » (2017, p. 93). L’assimilation a produit une acculturation sur sa maîtrise de l’arabe, sa langue maternelle, comble de dépersonnalisation : « J’ai à présent un accent bizarre quand je parle cette langue. Ma langue n’est plus ma langue. Quelle tragédie ! » (2017, p. 93).

Bien qu’irréductibles les unes aux autres, la dépersonnalisation linguistique d’Ahmed renverrait à celles qui furent les épistémicides linguistiques coloniaux, qui avaient sous-estimé la pertinence des langues vernaculaires des peuples originels. Tout au plus, les langues classiques des peuples envahis, en effet, comme l’a montré Edward Said, faisaient l’objet d’études pour les orientalistes européens, l’arabe coranique et littéraire parmi de nombreuses langues de civilisations anciennes. Entre domination et stéréotypage de la langue du natif, les singularités de l’usage qu’Ahmed fait de la langue française soulèvent une problématique linguistique où la non-maîtrise idiomatique par l’Africain configure avant tout une situation de précarité que le colonisateur attribue et produit dans ses dispositifs d’étude et d’évaluation.

D’où la conclusion d’Ahmed dans son auto-évaluation : « À cause de toi je suis devenu un autre » (p. 89). Dans la sémantique de la causalité négative (à cause de), le « je » d’Emmanuel figure donc comme une instance causale et structurelle d’un autre altérisé, donc d’un non-autre, d’un sujet violemment privé d’une image symbolique, non capturé, mais captif d’un imaginaire attributeur d’altérité radicale. De cette façon, le narrateur revisite le passé et constate avec le recul de 13 ans : « On est encore là-bas à Salé, pas à Paris, tu ne te soucies pas de ton image. Tu es loin de ton image. Tu es libre » (2017, p. 89). Ne pas avoir d’image peut être compris comme la condition du sujet censée être universelle, ce qu’Ahmed entend comme étant un « système » fondé sur des « privilèges » socio-économiques et structuré autour des « codes bourgeois » (2017, pp. 88–89) de sa belle-famille. Tandis qu’Emmanuel, du fait de ses origines, incarne le Un universel, la notion d’image se rattache à l’identité d’Ahmed, dans une scène spéculaire sans la dissymétrie signifiante lacanienne du désir (Lacan, 2001, p. 413), ancrée plutôt sur l’asymétrie annihilante : « Rien à la base n’aurait pu nous rapprocher, nous réunir, nous mettre l’un en face de l’autre » (Taïa, 2017, p. 75).

3. L’homme n’existait plus : la performativité au féminin

Ahmed est l’auteur de la première des quatre lettres du récit Celui qui est digne d’être aimé, qu’il adresse à Malika, sa feue mère. L’ouverture du récit, sous l’égide de la puissance de cette femme, est révélateur de l’identification d’Ahmed à un féminin qu’il croit imbu d’une performance de réécriture : « la femme allait tout réécrire ». Réécriture à laquelle Ahmed s’adonnera, d’une part comme l’auteur de sa propre vie, qu’il avait cherché à reconstruire, dix ans auparavant, sans la présence d’Emmanuel ; d’autre part comme agent d’écriture, c’est-à-dire l’expéditeur-destinataire d’un ensemble de lettres qu’il avait réunies dans le volume que le lecteur a entre les mains, auxquelles il a attribué une continuité thématique, celle des relations amoureuses et érotiques dévastatrices et leur rapport à des questions relevant de l’intersectionnalité, à la manière dont différentes formes d’oppression, telles que le machisme, le racisme, le sexisme, le colonialisme et l’homophobie s’articulent dans la trajectoire des personnages.

Dès l’incipit, la lettre présente Malika comme « dictatrice assumée » (2017, p. 11). En 2015, cinq ans après son décès, Ahmed écrit pour essayer de comprendre son identification à cette femme. Matriarche dans un foyer où un père, absent, n’a pas le dernier mot, mais qui n’est pourtant pas moins machiste quand il s’agit de se faire soumis à la dépendance sexuelle de son épouse. Malika est un personnage ambigu, elle transgresse en quelque sorte le rôle de soumission féminine, tout en réitérant le machisme et l’homophobie constitutifs des imaginaires sociaux hétéronormatifs de l’univers fictionnel marocain. En fait, à ses filles, ainsi qu’à Ahmed, elle leur a toujours préféré Slimane, le fils aîné. Comme dans un règlement de compte scriptural, Ahmed, rejeté jadis par cette mère homophobe, décrypte les conditions de production de ce préjugé, allant à la racine d’un machisme structurel : « Tu as su rester fidèle à tes principes. La cruauté comme règle du jeu, du monde » (2017, p.17).

Il est intéressant de remarquer qu’Ahmed établit une analogie entre l’hétéronormativité réitérée par sa mère et la religion, quand il s’agit pour lui de plonger au fond du processus dans lequel Slimane est élu comme idéal de masculinité : « Tu as fait de lui un prophète qui n’avait nul besoin de parler : son message étant entendu d’avance » (2017, p.19). En effet, « les sociétés postcoloniales ont fait l’expérience de nombreux projets idéologiques et discursifs de production de masculinité. Dans le monde musulman et dans les anciennes colonies fortement influencées par les missions chrétiennes, ce processus comporte une puissante dimension religieuse » (Connell, 2015, p. 8).

Ainsi, le discours de la norme qu’incarne le fils hétérosexuel n’a pas à construire sa légitimité (son message) ; il a pourtant à garantir sa propre pérennité par le moyen d’une pratique citationnelle. Ce trait universel et atemporel de la norme, Malika, la mère, le réactualise comme citation et rituel de renforcement de valeurs masculinistes. Cette femme participe alors à ce que Demetriou (2015, p. 10) entend par bloc masculin : « contrairement à la masculinité hégémonique, [il] implique de comprendre le pouvoir masculin et la pratique masculine sans les réifier ni les binariser ». De cette manière, Malika, partagée entre l’adoration religieuse à la masculinité du fils aîné et une sorte d’émasculation symbolique qu’elle fait subir à son mari, « cet homme défaillant », à qui elle imposait « chaque jour une nouvelle castration », et bien que le mot de dictatrice soit employé quatre fois comme épithète à cette mère castratrice, elle est bien loin de dépasser la misogynie intrinsèque au système de pensée de l’univers fictionnel. « Tu l’as condamné à toi, à tes odeurs, à ton vagin » (2017, p. 14). Et cette condamnation est d’autant plus ironique et relative qu’elle réitère une potentielle réification sexuelle de Malika elle-même. C’est que dominer la domination masculine ne présuppose pas une libération définitive, n’instaure pas un changement social dans l’univers familial de Malika, mas sollicite de celle-ci une gestion continuelle et ouverte du conflit et de l’hégémonie génitale du mâle, que son mari aura perpétuée à vie. Il aura donc fallu qu’il meure – ironie ou providence – pour que la libération physique de Malika soit envisageable. 

Ce conflit est analogue à celui d’Ahmed : La position d’Ahmed est également ambivalente : il se place du côté de la mère, surtout de l’autorité sexuelle qu’elle exerce sur ce père obsédé par le sexe. C’est par cette autorité qu’il avait cru, en 1992, séduire Emmanuel. Ce dont Ahmed s’aperçoit c’est que le pouvoir par le sexe n’en est pas un, d’un point de vue symbolique. C’est la raison pour laquelle, dans la lettre même qu’il écrit pour exalter le féminin de la mère et s’y identifier, il ne néglige pas le rôle vraiment libérateur de ses sœurs, qui, elles, ont été assez hardies pour dire à Slimane qu’il n’avait pas droit à l’héritage de la mère défunte, car il l’avait déjà eu de son vivant puisqu’il elle lui avait accordé des privilèges. Là, c’est Ahmed qui aurait pactisé avec une sorte de masculinité oppressante du frère aîné : « J’aurais été encore pétrifié devant lui, impressionné par le silence qu’il m’impose dès qu’il apparaît » (2017, p. 21).

On remarque donc que tout un système se déploie pour qu’une masculinité réussisse. En quelque sorte Ahmed serait devenu pour Emmanuel la Mère ou le Fils de la non-relation osmotique qu’ont entretenue Malika et Ahmed. De toute façon, dans la lettre de rupture avec Emmanuel, dix ans auparavant, dans laquelle il avait passé au crible l’homosexualité comme expérience genrée de domination entre hommes,[1] il réhabilite la mémoire de cette mère et de ses sœurs. Malika y est mentionnée comme étant la « mère dure » ; les sœurs, « trahies par la vie » (p. 95). Même si toutes ces femmes à un moment donné furent homophobes à son égard, il s’aperçoit du privilège d’être né dans une peau masculine, pour ainsi dire : « Jamais je n’ai essayé de me mettre dans la peau de mes sœurs. De les regarder et les comprendre » (p. 96). Là, dans l’acception de Judith Butler (2010, p. 95), c’est l’horizon éthique qui s’amplifie, Ahmed se montrant enclin à suspendre, momentanément et en faveur de l’autre, le récit de soi-même : « Même si elles s’obstinent à refuser de parler de mon homosexualité, je les forcerai à créer un lien nouveau. Je ne veux pas que tout tourne autour de mon homosexualité ».

Une solidarité performative découle donc de cette suspension du récit de soi et de l’instabilité du genre, faisant basculer les pratiques genrées des personnages des masculinités aux féminités et vice versa, par la mise en œuvre d’une performativité accentuée par Judith Butler (1990, p. 59) déjà dans Trouble dans le genre : « Le genre est le mécanisme par lequel les notions de masculin et de féminin sont produites et naturalisées, mais il pourrait très bien être le dispositif par lequel ces termes sont déconstruits et dénaturalisés ».

Ahmed décrypte la réalité des privilèges qui sont les siens dans l’assurance de prémisses patriarcales. En tant qu’immigrant accueilli par une famille bourgeoise, il reconnaît son « nouveau statut », « très privilégié » (2017, p. 91). En tant qu’homosexuel, il prend part à l’effectivité de l’hégémonie masculiniste, à la rupture de laquelle ses identifications féminines tentent de concourir. Dans sa lettre, il cherche à faire prendre conscience à Emmanuel des privilèges d’une oppression que sa famille exerce sur Halima, la bonne : « Elle a 70 ans. Elle ne s’est pas mariée. Elle a passé la majeure partie de sa vie avec vous. À vous servir. À vous voir grandir » (2017, p. 96). Cependant, Ahmed procède à son autocritique, dévoilant le jugement qu’il avait porté lui-même sur le sort de cette femme : « Au fond, je la jugeais un peu parce qu’elle n’était pas cultivée, parce qu’elle n’avait pas profité de la France pour évoluer, s’émanciper » (Taïa, 2017, p. 97).

Ici, c’est Ahmed qui entre, complice, dans le jeu du pouvoir machiste, raciste et intellectualiste. La trame romanesque des oppressions se complexifie davantage, et les diverses postures et positions de pouvoir assurées par des sujets diasporiques noirs, hommes et femmes, hétérosexuels et homosexuels, illettrés et cultivés, corroborent à l’ouverture du champ de l’hégémonie masculine :

La diaspora noire et la naissance du mouvement de libération gaie, par exemple, ont légitimé des masculinités gaies et noires longtemps marginalisées. La réponse à la crise de légitimité du patriarcat passe alors, comme nous allons le voir, par la formation d’un nouveau bloc hégémonique masculin, qui incorpore des éléments utiles à la reproduction du patriarcat en provenance des masculinités « marginales » et « subordonnées ». (Demetriou, 2015, p. 11)

Et cette famille, qu’Ahmed est en train de classer comme le foyer des normalisations, est à la fois un noyau à partir duquel la masculinité en tant que bloc se performe. Et pourtant, si les normes de genre y sont défaites, elles le sont pour le maintien d’un modèle eurocentré. Prenons l’exemple d’un autre africain vivant au sein familial, Jamal, le mari tunisien d’une sœur d’Emmanuel. Ahmed répudie le fait que leurs filles jumelles portent des prénoms français, tout comme il se sent accablé par la haine de s’être soumis à l’appellation de Midou imposée par Emmanuel. Pour Ahmed, ironiquement, l’idée de « devenir un autre Jamal, version gay » lui répugne. La plasticité du genre permet à deux hommes, un homosexuel et un hétérosexuel, de jouer des rôles semblables dans la dynamique des relations interethniques réifiantes pour l’Africain. Dans cette optique, Ahmed se projette sur les images de Halima et de Jamal.

Il est curieux de remarquer qu’Ahmed, en associant Jamal à une sexualité gay, dénote la race en tant qu’un marqueur altérisant. La disqualification par la race et la disqualification par le sexe féminin s’interpénètrent, ce qui met en évidence que les oppressions, dans Celui qui est digne d’être aimé, sont complexes à décerner dans leurs conjonctures. En fait, s’interroger sur la production altérisante des immigrés africains présuppose la complexification du profil universel de l’homme blanc européen dès qu’il s’agit de percer les rôles de domination, au sein de la colonialité mâle, hétérosexuelle, blanche et bourgeoise. Dans le texte d’Abdellah Taïa, cette domination s’opère par le brouillage des notions biologiques de masculinité et féminité, qui sont plutôt plastiques et intersectionnelles, c’est-à-dire qu’elles s’inscrivent dans un champ hybride, marqué tant par la performativité de pratiques qui refont et défont les genres, que par interpénétration des marqueurs de race et de classe.

Néanmoins, toutes les performances de genre risquent de devenir machistes et colonialistes. Ainsi, des postures oppressantes peuvent être performées par des femmes, et les hommes se laissent « féminiser », assumant des comportements infériorisants. C’est ce qui se produit au sein d’un autre couple interethnique du récit : « Ce qui a fait tout basculer entre nous, ce sont les jumelles que ta sœur a eues l’année dernière avec son mari Jamal, tunisien, lui » (p. 91). Les prénoms des filles sont l’élément déclencheur de la crise à laquelle Ahmed est en proie relativement à son surnom, Midou : « Elles [sic] les a appelées Jeanne et Marguerite. J’étais choqué. C’était une nouvelle étape de l’effacement programmé » (2017, p. 91). Il faut retenir l’autoritarisme incarné par la femme comme sujet (« elle ») de l’imposition des prénoms. Dans ce contexte, nommer n’est pas une opération anodine, c’est un exercice de pouvoir : « Le symbole est trop fort » (2017, p. 92).

De cette façon, le roman nous présente la catégorie de masculinité comme étant liée avant tout à la microphysique du pouvoir colonial et à la performativité du genre, construite socialement aussi bien par des hommes que par des femmes. La féminité, pour sa part, recouvre des performances à la fois libératrices et répétitrices de l’hétéronormativité et du machisme. Contraire à tout manichéisme, la mouvance genrée des personnages construit un univers fictionnel où les lois du genre se dé-construisent en tant que catégories ouvertes. Mais Ahmed ne perd jamais de vue sa critique du pouvoir mâle et colonial, c’est-à-dire que le démantèlement d’un système de privilèges – même si les immigrés (homosexuels et hétérosexuels) et les femmes (africaines et européennes) en bénéficient en quelque mesure – présuppose l’entente de l’historicité et du maintien du privilège hégémonique masculin. Les prises de certains pouvoirs par les femmes, dont Malika est le paradigme, surtout dans la sphère privée, participent à une sorte de microphysique du pouvoir, mais leurs corps (celui de Malika par exemple) subissent le joug de la domination sexuelle. La mère d’Emmanuel, qui avait quitté le foyer familial parce qu’elle « aimait quelqu’un d’autre » (2017, p. 98) que son père, est négligée comme celle qui a rêvé d’amour même si elle avait été lâchée. Revenue « à son mari, [à] son grand appartement bourgeois dans le Ve arrondissement » (2017, p. 100), la rupture ne s’opère pas avec la structure sociale de la dépendance. Malika et la mère d’Emmanuel sont libératrices et opprimées ; l’une dans un univers dit avancé et progressiste – l’européen –, l’autre, dans celui réputé arriéré – le marocain –.

Les mécanismes sociaux et les dispositifs discursifs du privilège masculin sont structurants. Même si la plasticité de la masculinité permet à des immigrants d’en consolider les piliers, Ahmed effectue le recul de l’historien pour comprendre ses fondements. Pour lui, il convient d’historiciser le privilège mâle colonial. Pour ce faire, la totalité des relations amoureuses et érotiques qu’il présente tout au long des quatre lettres du récit préfigure l’« épisode ultra célèbre » dans lequel Oscar Wilde offre un « garçon arabe » à André Gide. C’est comme s’il était impérieux, pour la réflexion à propos des statuts des rapports amoureux interraciaux contemporains, de cerner les conditions historiques de production de la colonialité cognitive et sexuelle des Africains. Dans ce sens, on peut suggérer que les traits hégémoniques du colonialisme sexuel construisent de nouvelles pratiques de genre colonialistes : « l’hégémonie ne peut être présumée dans les rapports sociaux violents et d’exploitation qui constituent les ordres de genre impériaux et transnationaux ; mais elle ne cesse de se construire, de se renouveler et d’être contestée » (Connell, 2015, p. 11).

La situation de Gide est recréée dans le personnage d’Emmanuel, dont le portrait réunit les attributs d’une hégémonie blanche, bourgeoise, intellectuelle et machiste. Ce portrait identitaire, dans le cadre impérialiste auquel la lettre d’Ahmed renvoie, aurait pour substrat une masculinité orientaliste, qui fut symboliquement consolidée moyennant les incursions sexuelles des voyageurs écrivains dans les territoires coloniaux, comme l’a bien montré Edward Saïd. L’embourgeoisement des mœurs au XIXe siècle a créé des conditions supplémentaires pour la production d’une sexualité européenne masculine orientaliste, que les pratiques homosexuelles de certains écrivains ont aidé à consolider : « L’Orient est un lieu où l’on peut chercher l’expérience sexuelle inaccessible en Europe » (Said, 2015, p. 331). Le savoir sur l’autre et la jouissance sur le corps de l’autre sont les corrélats des « possessions coloniales » (p. 331). Ce que l’on peut inférer de l’analyse historique d’Ahmed c’est que le contexte colonial dans lequel André Gide exerça son homosexualité ne laisserait aucune raison de dire qu’elle contribue à l’histoire de l’émancipation homosexuelle, car aucune sexualité ne serait émancipée tant qu’elle compte sur l’oppression économique et raciale :

L’émancipation sexuelle d’André Gide, je l’avais vécue à l’époque comme si elle était la mienne. Mon identification mystique, littéraire et sexuelle était la preuve de mon intelligence. […] Je l’avais oublié, lui. Le petit Arabe dans l’Algérie depuis plusieurs décennies occupée par la France. Je l’avais traité comme on traite les pauvres. Ils n’ont aucune place dans l’Histoire. (Taïa, 2017, p. 103)

Ahmed développe l’idée qu’entre Gide et le garçon arabe il ne pourrait y avoir de relation car le caractère relationnel d’une interaction présuppose l’émergence de l’altérité : un garçon offert étant l’objet la réification, de la déshumanisation portées à leur comble. Cette révision historique dénonçant l’altérisation et la sexualisation subies par ce garçon dans le récit de voyage orientalo-sexuel de Gide, se dédouble dans la révision autocritique d’Ahmed lui-même, qui avait vanté par le passé l’émancipation sexuelle de l’écrivain français dans sa « première expérience homosexuelle » (2017, pp. 102–103). La rencontre entre Emmanuel et Ahmed, dans une place de Salé, est instantanément vécue comme étreinte sexuelle effusive. Ensuite, il procure au jeune homme marocain son installation à Paris, devenant le pourvoyeur économique et l’initiateur à la culture française et universitaire. Au fil des années, une relation semble s’être développée entre les deux, une période ponctuée par des instants de remise en cause, mais Ahmed finit par la démasquer comme une véritable non-relation en écrivant cette lettre de rupture qui lui permet d’enlever, une fois pour toutes, le masque blanc d’immigrant africain parvenu et intégré, de se savoir colonisé en tant que le « pédé arabe d’Emmanuel » (2017, p. 103).

Il convient ici de tracer un bref parcours du thème de la masculinité orientaliste dans l’œuvre d’Abdellah Taïa, qui abonde en citations d’artistes européens homosexuels ayant eu des rapports à la culture arabe. Dans le roman autofictionnel L’Armée du salut (2006), Pasolini représente pour le narrateur-personnage Abdellah la possibilité d’un dialogue interculturel entre l’Europe et les cultures arabes. La référence à Pasolini avait permis à Abdellah d’entamer une conversation avec Jean, professeur universitaire suisse qu’il avait rencontré à Rabat. Il croit, dès ces premiers échanges, à une « grande complicité intellectuelle » (2006, p. 82). Abdellah “faisai[t] parfaitement le guide” (2006, p. 82), cherchant à séduire le touriste européen, à qui il tient à rappeler que Pasolini avait même voulu « se convertir à l’islam » (2006, p. 83).

Abdellah, pour sa part, fait son premier voyage en Europe, financé par Jean, qui « influençait considérablement [ses] goûts et [ses] jugements artistiques » (2006, p. 122). Outre les premiers malentendus entre les deux compagnons, Abdellah a un choc culturel, « une fracture irrémédiable » (2006, p. 124), du fait qu’il craint d’être perçu comme la « chose sexuelle » de Jean, car c’est lui qui payait les dépenses lors des sorties. Plus tard, Jean se rendra une deuxième fois au Maroc, dont il fait connaître au natif Abdellah les villes touristiques. Malgré leurs mésententes, Abdellah croyait toujours à une complicité, mais ironisait déjà ce qui n’était en réalité qu’un agréable voyage touristique : « Ouarzazate, dix jours durant, a été notre roman d’amour heureux » (2006, p. 134).

Dans un deuxième séjour d’Abdellah en Suisse, la liberté, que les deux amants s’étaient promise dès le départ, fait défaut : « Nous serions des amis, pas des esclaves l’un pour l’autre » (2006, p, 146). Et lors d’un troisième voyage en Suisse, l’espoir d’une relation humanisée est à jamais perdu : « Il était maintenant acariâtre. Possessif. Il m’ignorait. Je n’existais plus pour lui et, pourtant, je dépendais de lui plus que jamais. Il payait pour tout. Il me le rappelait sans cesse » (2006, pp. 151–152). D’où le premier constat relativisant de la liberté imaginaire supposée en Europe : « La liberté en Occident ? Quelle liberté ? » (2006, p. 152). Rentré au Maroc, Abdellah saura d’un professeur que celui-ci avait été prévenu par Jean de la « mauvaiseté » de celui-là (2006, p. 153). Lorsqu’enfin Abdellah part en Suisse pour suivre ses études de DES, il se rend compte qu’il avait permis à Jean d’« envahir [s]a vie » (2006, p. 153). Un avenir prometteur avait été illustré par le paysage de leur première rencontre, qui avait Pasolini pour témoin : « Il venait seul assister au coucher du soleil sur cette même plage où nous nous trouvions Jean et moi » (2006, p. 83). Arrivé en Suisse, le paysage humain et langagier est près peu solaire : « Je cherchais une image humaine, un signe, je me retrouvais en face du silence » (2006, p. 87).

Dans un autre ouvrage, Le Rouge du tarbouche (2012), recueil de contes hybride, conçu entre l’autofiction et la métafiction historiographique, Abdellah Taïa crée aussi une symétrie entre des personnages autofictionnels et littéraires : dans le conte De Genih à Genet, il s’agit du couple Abdellah-Ali, analogue à celui formé par l’écrivain français Jean Genet et son dernier compagnon, Mohamed Al-Katrini. La relecture entreprise par Abdellah Taïa du rapport de l’auteur français au vécu de la sexualité avec des hommes arabes diffère de celle qu’il entreprend du même rapport concernant André Gide.[2] Alors que celui-ci, dans Celui qui est digne d’être aimé, aurait procédé à une sorte d’altérisation coloniale du corps et de la vie du garçon arabe avec qui il avait eu des rapports sexuels à Biskra, Genet aura construit avec Al-Katrini une relation fondée sur l’altérité. C’est ce qu’Abdellah découvrira plus tard en lisant Le Funambule, un récit que Genet consacra à un autre amant, Abdallah Bentaga, dont les traits humanisés, aux yeux d’Abdellah, narrateur du Rouge du tarbouche, sont structurants de la façon dont l’écrivain français représente le corps érotisé de l’homme arabe :

L’ami, l’amant, le fils, le compagnon, le disciple tendre et délicat... Voilà un garçon, découvert dans les livres, qui est entré immédiatement dans ma mythologie personnelle, dans mon coeur. Lui aussi, depuis 1964, vit dans l’autre monde, mais son histoire d’ici-bas est encore incomplète. Un jour je l’écrirai. (2012, p. 57)

Retenons que l’altérité, présupposée par Abdellah dans le vécu et dans les représentations de Jean Genet du corps masculin arabe, est mise en relief à travers les signifiants par lesquels les personnages sont prénommés et surnommés. Tandis que dans Celui qui est digne d’être aimé l’appellation de Midou, imposée par Emmanuel à Ahmed, matérialise le comble d’une altérisation annihilante, dans Le Rouge du tarbouche la logique s’inverse : c’est un homme arabe (le narrateur Abdellah) qui pervertit le prénom d’un écrivain français. Dans l’altération phonétique Genih-Genet, on remarque non seulement une « manière d’arabiser » (2012, p. 56) un prénom français, mais une opération signifiante qui met en évidence le choix qu’aurait fait Genet dans son œuvre et dans son expérience personnelle de ne pas succomber à l’exotisme eurocentré. Du même coup, Abdellah Taïa s’interroge sur les enjeux des hybridations littéraires Maroc-France. Que ce soit par l’intertextualité avec André Gide ou par celle avec Jean Genet, deux écrivains homosexuels assumant des postures divergentes vis-à-vis du corps masculin arabe érotisé, ces deux lectures décoloniales s’avèrent un champ critique fécond qui permet à Abdellah Taïa de renouveler la prose homoérotique dans la littérature contemporaine de langue française.

Nous pouvons conclure que les hybridations culturelles offrent à Abdellah Taïa la possibilité d’articuler littérairement les enjeux de la construction des masculinités dans la sphère globale du post-colonialisme, conçues critiquement comme des catégories non essentielles. Nous ne croyons pas à une évolution de la remise en cause des masculinités dans l’ouvre d’Abdellah Taïa, mais plutôt à une problématisation non-manichéenne développée dès le roman L’Armée du salut : Abdellah et Jean avaient construit une relation dégradante de possession masculiniste. Paradoxalement, Pasolini est présenté comme un Européen empreint du désir de découvrir des altérités dans la culture arabe. Dans Le Rouge du tarbouche, c’est Genet qui joue le même rôle.

Après 11 ans de la parution de l’Armée du salut, le récit Celui qui est digne d’être aimé retravaille le thème des masculinités en dérision, mais cette fois l’auteur promeut explicitement le débat décolonial, dans un contexte politique qu’Ahmed désignera comme celui du « néo-colonialisme » (2017, p. 91). Les masculinités y sont représentées comme des processus historiques, dont la portée politique et les enjeux de pouvoir renvoient à la domination coloniale tout en (re)produisant la colonialité du savoir et du corps de l’autre oriental dans le temps présent. Dans ce sens, en proposant un rapport indissociable entre le colonialisme et une certaine hégémonie mâle européenne, Abdellah Taïa ne perd pas de vue que le fait colonial est indéniablement producteur de masculinités performatives dont l’efficacité ne fait que garantir l’intérêt même de l’eurocentrisme. C’est la raison pour laquelle cette métafiction épistolaire d’Abdellah Taïa s’inscrit dans la littérature contemporaine d’expression française comme un roman décolonial.

Références bibliographiques

Notes

[1] Le roman d’Abdellah Taïa crée des analogies entre colonialisme et machisme. Même si Ahmed s’identifie comme un homme gay cisgenre, il établit un rapprochement entre son vécu de l’homosexualité d’Arabe, en couple avec un homme gay européen imbu de valeurs orientalistes, et l’oppression infligée aux femmes de l’univers romanesque. Ce que nous concevons, du fait de la performativité même des genres développée dans le roman, c’est que des pratiques machistes puissent surgir au sein de couples homosexuels, donc dans la relation Ahmed-Emmanuel. 

[2] Nous renvoyons le lecteur désireux d’en savoir plus à J. Vilarino, A Escrita corsária de Abdellah Taïa, un article dans lequel nous développons, dans le cadre des écritures translingues, la comparaison des relectures d’André Gide et de Jean Genet entreprises par Abdellah Taïa. 


Júnior Vilarino. Professeur de langue et littérature françaises à l’Université Fédérale de Viçosa (UFV­-Brésil). Ses recherches portent sur la littérature française, les littératures de langue française et la littérature brésilienne, travaillant principalement sur les sujets suivants : poésie et modernité au XIXe siècle, postcolonialisme et théories du genre. Ses publications concernent surtout les oeuvres de Charles Baudelaire et d’Abdellah Taïa.