Ouverture: Connais-toi toi-même
DOI:
https://doi.org/10.7203/HYBRIDA.3.22917Palabras clave:
autobiografía, SIDA, cultura, literatura, LGBTResumen
"Comme Barthes qui pensait que la littérature devait céder la place à l’auto-écriture de tous, je pense que tout le monde devrait faire la même chose : raconter sa vie. Connais-toi toi-même. Mets-toi en forme. Mets-toi en ordre".
Dustan, Guillaume (1999). Nicolas Pages (p. 400). Balland.
Guillaume Dustan et sa particulière vision de la littérature (« en littérature, soit c’est soi, soit c’est du bidon », Dustan, 1999, p. 384) me permettent de commencer cette Ouverture du troisième numéro de la revue HYBRIDA. Revue scientifique sur les hybridations culturelles et les identités migrantes dont le Dossier central est intitulé SIDA/S – 40 ans. Pour suivre les conseils de Dustan, je vais raconter (un peu) ma vie : en 1994, étant ce que l’on appelle « jeune chercheur », j’ai présenté un projet sur « sida et littérature » qui m’aurait permis d’obtenir une bourse aboutissant à une thèse doctorale. Je n’ai pas eu la bourse et j’ai dû changer de sujet pour candidater à nouveau l’année suivante. J’ai finalement obtenu cette bourse, ce qui m’a permis de commencer ma « carrière » universitaire en 1996. Le fait est que, même si je me suis centré sur le corps dans le discours artistico-littéraire d’avant-garde, notamment dans le théâtre (« panique »), je n’ai jamais quitté ce premier projet et me suis toujours intéressé aux écritures liées à l’expérience de la maladie, et plus concrètement aux « récits de sida », surtout d’écrivains homosexuels ayant pour la plupart disparu à cause de l’épidémie.
Le souvenir du congrès Sida y cultura (Sida et culture) à l’Université de Valence en 1997, organisé, il y a 25 ans, par Ana Monleón et Ahmed Haderbache, restera donc toujours comme un moment important dans ma mémoire affective et académique. Je leur serai toujours reconnaissant de m’avoir permis de publier mon premier article de recherche intitulé « Escribir en el apremio » (« Écrire dans l’urgence »). Malheureusement, ce « modeste » volume, qui a même été exposé au Musée d’Art Moderne de Valence (IVAM), n’a pas eu une large diffusion.
C’est donc un privilège de pouvoir le rééditer comme Annexe à ce numéro d’HYBRIDA. Nous avons respecté l’édition originale de 1997, même si elle ne répond pas aux normes éditoriales de la revue ni aux critères actuels de « qualité » concernant les publications scientifiques. Le volume est composé d’un bel ensemble de dix-neuf contributions de personnes venues de générations, de formations et d’horizons différents, ce qui a permis une réelle circulation des savoirs et un échange intéressant entre l’activisme et l’Université. Certains d’entre eux nous ont quittés, prématurément. La mort nous surprend toujours.
Voici donc toute ma reconnaissance (nunc et semper) à la Professeure de littérature française Elena Real, ma directrice de thèse, qui s’était spécialisée, entre autres, dans l’autobiographie contemporaine, concrètement dans l’écriture des femmes et les thématiques du corps et de la séduction ; et au journaliste et historien de la déportation homosexuelle Jean Le Bitoux, figure emblématique du militantisme en France et fondateur historique, avec d’autres intellectuels et activistes comme Frank Arnal (décédé à 42 ans en 1993) et Jean Stern, du magazine Le Gai Pied dont le premier numéro de 1979 contenait un article de Michel Foucault qui aurait suggéré le nom. Le magazine a été une grande fenêtre ouverte à la liberté d’expression et à l’activisme homosexuel jusqu’à sa disparition en 1992. Il comptait sur la collaboration habituelle d’intellectuel·le·s et d’auteur·e·s comme Jean-Paul Aron, Renaud Camus, Copi, Guy Hocquenghem, Nathalie Magnan, Hugo Marsan ou Yves Navarre, pour n’en citer que quelques-un·e·s. Même Jean-Paul Sartre lui a accordé une interview en 1980.
Mais revenons à Sida y Cultura pour ajouter que les approches ont été riches et variées, aussi bien sociologiques que culturelles, sous une perspective historique (en comparant le sida avec d’autres maladies antérieures), du point de vue de l’analyse du discours sur le sida ou de l’analyse concrète d’œuvres et d’auteurs touchés par le sida comme Cyril Collard (mort en 1993 à 35 ans), Copi (mort en 1987 à 48 ans), Pascal de Duve (mort en 1993 à 29 ans), et bien évidemment Hervé Guibert (mort en 1991 à 36 ans). Nous avons eu la chance également de compter sur la collaboration de Juan Vicente Aliaga, critique d’art espagnol réputé, spécialiste en études de genre et LGBT, qui avait publié quelques années auparavant (1993), aux côtés de José Miguel G. Cortés, le premier essai fait en Espagne sur l’art et le sida intitulé De amor y rabia (D’amour et de rage) qui reste un référent important dans ce domaine.
Concernant la coordination du Dossier central SIDA/S – 40 ANS, je tiens à remercier sincèrement Didier Lestrade, journaliste, écrivain et militant reconnu, fondateur d’Act Up-Paris, ainsi que du magazine Têtu, possédant une longue trajectoire et une importante production intellectuelle sur l’activisme LGBT. Ses trois derniers essais portent les titres suggestifs de : Minorités. L’essentiel (2014), Le Journal du Sida. Chroniques 1994-2013 (2015), « mon dernier livre sur le sida », affirme-t-il ; et I love Porn (2021), excellent essai qui reprend la forme du témoignage pour retracer une histoire particulière de la sexualité à partir des années 1970 par l’intermédiaire de la pornographie comme instrument politique de contestation. Je remercie également de tout cœur Ahmed Haderbache, traducteur de Guillaume Dustan en espagnol et grand spécialiste de son œuvre, d’avoir accepté de coordonner ce Dossier qui nous a paru nécessaire pour réactiver la mémoire d’une maladie et d’une production artistico-littéraire qui semble lointaine, voire révolue, surtout pour les jeunes générations, mais qui prend toute sa signification dans le contexte pandémique actuel.
Ce Dossier, qui débute par un bel Avant-propos de Didier Lestrade intitulé « Sida : une épidémie presque oubliée » et par une Introduction d’Ahmed Haderbache, est composé de sept articles. Il part du fait sociologique et politique pour aborder la production littéraire, en passant par l’analyse filmique et théâtrale. Thierry Schaffauser s’intéresse aux personnes invisibles, voire oubliées, pour nous proposer une pertinente étude sur l’histoire des mobilisations des travailleuses du sexe contre le VIH en France et au Royaume-Uni ; Romain Chareyron fait une riche analyse des images du sida dans le film 120 battements par minute (2017) ; Henry F. Vásquez Sáenz aborde avec précision la pièce Une visite inopportune (1988), ce qui lui permet de restituer et de resituer la figure du dramaturge franco-argentin Copi en tant qu’auteur subversif et engagé, pionnier du théâtre autobiographique lié au sida. Les deux articles suivants, de Daniel Fliege et de l’écrivaine Ariane Bessette respectivement, proposent d’intéressantes analyses littéraires d’œuvres « autobiographiques » d’auteurs « controversés » car défenseurs des rapports sexuels non protégés ou barebacking : Guillaume Dustan (mort en 2005 à 39 ans) et Érik Rémès.
Puisque HYBRIDA s’intéresse particulièrement aux contextes francophones ou comparés, nous avons créé une petite section à la fin du Dossier intitulée Autres regards afin de publier deux articles spécialement attirants. Le premier, écrit par Thibault Boulvain dont la thèse doctorale a été publiée en 2021 sous le titre L’art en sida 1981-1997, aborde les dernières années d’Andy Warhol (décédé en 1987) sous la perspective du sida ; le dernier, proposé par Caroline Benedetto, se penche sur les journaux intimes de l’artiste pluridisciplinaire américain David Wojnarowicz (mort en 1992 à 37 ans), en soulignant les influences françaises.
Dans la section Mosaïque, où nous publions des études sur les hybridations culturelles et les identités migrantes qui ne correspondent pas à la thématique centrale du Dossier, nous publions trois articles. José Manuel Sánchez Diosdado analyse profondément les récits coloniaux des voyageuses françaises de la première moitié du XXe siècle qui se sont inspirées du Maroc. Feyrouz Soltani aborde le roman Verre Cassé de l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou pour y déceler les traces du métissage linguistique et culturel et, enfin, Rolph Roderick Koumba et Ama Brigitte Kouakou nous présentent la langue française comme instrument positif dans la construction de l’altérité à travers l’analyse des œuvres de l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome et de l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano.
La section Traces de la revue HYBRIDA est consacrée à la création littéraire et s’éloigne volontairement de l’esprit d’évaluation en double aveugle, bien que les soumissions soient strictement analysées et révisées par le comité éditorial. Dans ce numéro 3, nous publions quatre textes aussi différents qu’intéressants. Leurs auteur·e·s se sont inspiré·e·s de la thématique du Dossier central autour du sida. Nous avons l’honneur de publier un court récit de l’écrivaine québécoise Catherine Mavrikakis intitulé « Évitons de respirer l’air du temps » qui nous met en alerte par rapport aux préjugés qui perdurent de nos jours concernant le sida. Nous voudrions rappeler au passage que, partant de la pensée de Michel Foucault sur la santé et l’organisation sociale, ses recherches sur les écrits du sida, ainsi que sur les notions de contamination, d’aveu et de souffrance, sont d’une grande importance pour la thématique qui nous occupe. Nous ne pouvons que rester admiratifs face à sa double facette de professeure universitaire et d’écrivaine ; et souligner la force de ses romans « autofictionnels » dont Ce qui restera (2017), L’annexe (2019) et L’absente de tous bouquets (2020), pour n’en citer que les derniers.
Ensuite, nous avons deux « témoignages » sincères et touchants. Le premier, intitulé Les spectres d’ACT UP, nous propose un parcours émotionnel et académique autour de l’expérience du sida. Son auteur, David Caron, Professeur à l’Université du Michigan, a fait une importante recherche dans le domaine des études LGBT et concrètement sur le VIH. Il s’est intéressé également aux études sur l’holocauste. Parmi ses dernières publications, nous trouvons The Nearness of Others. Searching for Tact and Contact in the Age of HIV (2014) et Marais gay, Marais juif. Pour une théorie queer de la communauté (2015).
Le court et intense « témoignage » de Lydia Vázquez Jimémez (écrit en espagnol) intitulé « Filou, te fuiste demasiado pronto » (« Filou, tu es parti trop tôt ») nous montre la difficulté de l’aveu et de s’exprimer par rapport au sida, en nous dévoilant son expérience intime et douloureuse face au deuil dû à la perte de l’être aimé. Au-delà de sa brillante carrière universitaire en tant que spécialiste dans l’étude de l’érotisme et de la sexualité (notamment au XVIIIe siècle), avec une focalisation particulière sur les femmes et le collectif LGBT, je ne voudrais pas négliger sa facette de traductrice en espagnol de l’œuvre d’auteur·e·s admiré·e·s comme Abdellah Taïa, Annie Ernaux, Jean-Baptiste del Amo, Gabrielle Wittkop ou Fatima Daas, entre autres. En tant qu’auteure, j’aimerais signaler son livre illustré Journal intime (2019).
Pour clore cette section de création littéraire et dans le but d’encourager l’écriture des jeunes écrivain·e·s, nous publions en espagnol la pièce inédite de Javier Sanz intitulée Reset. Volver a empezar (Reset. Repartir à zéro). Avec une fraîcheur et une franchise touchantes, la pièce aborde, en 2021, la problématique de l’incommunicabilité et de la difficulté à établir des relations amoureuses sincères, ainsi que la découverte de la séropositivité.
Je suis persuadé que ce numéro d’HYBRIDA, 25 ans après Sida et Culture, marquera notre trajectoire en tant que revue universitaire. Il ne me reste qu’à remercier très sincèrement notre excellente équipe d’évaluation qui se nourrit et se diversifie à une grande vitesse grâce aux apports de spécialistes du monde entier. Et un sincère merci à José Luis Iniesta, Directeur Artistique de la revue, pour son investissement et son savoir-faire ; sans lui rien ne serait possible…
Je vous propose un prochain rendez-vous pour fin juin 2022 pour le numéro 4 d’HYBRIDA. Salus in periculis
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